Avec ses projets lo-fi The Microphones puis Mount Eerie, l'américain Phil Elverum a sans doute écrit lors de ces 25 dernières années l'une des pages les plus passionnantes du folk-rock indépendant de son pays. Et plus ses œuvres s'offrent discrètement à nous, plus celles-ci semblent se relier entre elles afin de former une constellation parsemée de fulgurances et d'outrances pouvant tantôt ébouriffer par des expérimentations sonores prises sur le vif comme en témoigne son attirance pour le black metal, tantôt toucher l'intime à un point tel qu'il est parfois difficile de s'en remettre.
On se souvient de ce deuil insurmontable survenu après la perte de sa compagne Geneviève Castrée en 2016 et qui avait donné lieu à deux de ses albums les plus poignants et à fleur de peau (A Crow Looked At Me en 2017 et Now Only en 2018). Quatre ans après Microphones in 2020 qui réactivait son premier projet le temps d'une chanson-monde de 44 minutes, Phil Elverum nous régale aujourd'hui d'un double-album composé de 26 morceaux et prennant la forme d'un généreux bilan de la quarantaine.
Night Palace convoque ainsi à chacun de ses fragments plusieurs chapitres de son œuvre sans avoir peur de paraître foutraque. Foutraque, ce nouvel album éparpillé façon puzzle l'est indéniablement et peut de ce fait déranger mais rappelons que c'est cela qui faisait déjà tout le charme du chef d'œuvre The Glow Pt 2, album à la fois chaotique et sublime sorti le 11 septembre 2001 (ça ne s'invente pas) auquel semble d'ailleurs se rattacher ce Night Palace via la présence notoire d'une troisième partie à son fameux The Gleam part 2.
Quoiqu'il en soit, Phil Elverum continue ici de nous impressionner par son art du story-telling et fait défiler sans ordre apparent des bouts de chansons n'obéissant à aucunes règles et oscillant entre le rustique et le cosmique, entre le trivial et le mystique, entre le plaisir exutoire et l'introspection. Au-delà d'un certain songwriting que d'autres auteurs maîtrisent certainement mieux que lui, c'est l'ambiance générale des albums de Mount Eerie qui captive profondément.
Flottant et imprévisible, Night Palace n'y échappe pas et s'il semble à un moment s'effilocher au fil de son écoute, il nous rattrape toujours à un autre moment. Par une surprise, par une sensation inédite, ou par un pur émerveillement comme ce Demolition situé vers la fin de l'album, chanson fleuve de 12 minutes en spoken words démarrant comme du gagaku. De ces formes hors-normes débordant souvent du cadre et pouvant paraître trop ambitieuses, Phil Elverum en tire toujours une émotion intense recentrée sur l'humain et la poésie des choses simples.
Chroniqué par
Romain
le 06/11/2024