Il y a trois ans sortait Space 1.8, premier album de la jazzwoman Nala Sinephro qui délivrait à seulement 25 ans une œuvre impressionnante de maîtrise, de maturité et de beauté, cette dernière n'étant rien d'autre que l'éclat de la vérité. Ainsi percevions nous chez cette musicienne belgo-caribéenne basée à Londres une personnalité authentique ayant déjà les idées très claires et ne trichant pas avec les atouts performatifs parfois cache-misère du genre. C'est peu dire que le label Warp ne s'y est pas trompé en ajoutant Nala Sinephro à son prestigieux catalogue d'artistes, cette signature lui offrant par ailleurs une visibilité qu'elle mérite amplement et qu'elle ne fait que confirmer via ce remarquable second album.
La pianiste-harpiste reste une fois de plus bien entourée puisque l'on croise ici les saxophonistes James Mollison (Ezra Collective) et Nubya Garcia, la trompettiste Sheila Maurice-Grey (Kokoroko), le pianiste Lyle Barton et même le batteur de black midi Morgan Simpson. Vers l'infini et au-delà, Nala Sinephro fait décoller son jazz ambiant dans un "continuum" nous faisant perdre toute notion de temps et développe des compositions fluctuantes qui, tels les astres du cosmos, stagnent puis s'emballent, tourbillonnent puis scintillent, s'isolent puis s'entrechoquent. Son jazz est très certainement cosmique, pour ne pas dire "kosmische" tant son utlisation des synthétiseurs modulaires prend chez elle un place dominante. Plus encore sur ce Endlessness qui s'inscrit dans la continuité de son prédécesseur, ce que souligne la similarité graphique de sa pochette, mais pousse plus loin quelques potards electronica.
Après quelques compositions marchant dans les pas de la harpiste Alice Coltrane et du regretté saxophoniste Pharoah Sanders, les nappes de synthétiseurs parfois reléguées au second plan viennent progressivement imposer leur danse et former des boucles électroniques brouillant la frontière entre les deux principales sensations auxquelles Endlessness semble aspirer, à savoir le méditatif et l'hypnotique. C'était la force de son précédent album et c'est également la force de celui-ci : la greffe prend admirablement entre d'une part la chaleur boisée et cuivrée du jazz, et d'autre part la froideur des machines rétrofuturistes de la musique électronique, tant et si bien que l'on ne sait plus qui met l'autre sur orbite gravitationnel. Peut-être est-ce ainsi qu'il faut interpréter le visuel de ce nouvel album qui, afin de nous préserver de la froideur inhabitable du cosmos, nous installe bien au chaud dans une combinaison spatiale et nous fait traverser un merveilleux album de jazz ambiant dans lequel on peut presque caresser les étoiles.
Chroniqué par
Romain
le 07/09/2024