L'œuvre musicale du compositeur Colin Stetson ne cesse, album après album, de développer un univers mystique axé sur de nombreux instruments à vent qui semblent entre ses mains muter en singularité tenace. En effet, l'utilisation que le canadien fait du saxophone basse – son instrument de prédilection – mais aussi de la clarinette ou encore du cor, ne ressemble à aucune autre. Si on excepte son aparté drone Chimæra I sorti chez Room40 l'année dernière, ses apparitions récentes sur les albums de Tim Hecker et de Brìghde Chaimbeul (d'ailleurs présente sur ce nouvel album en échange de bons procédés) ou quelques musiques de film, il faut remonter à 2017 et l'excellent All This I Do For Glory pour retrouver alors un Colin Stetson en pleine possession de son art.
Mais de quel art parle t-on ? Un art virtuose dont la virtuosité, c'est à dire un excès performatif de technicité, n'est jamais démonstrative – donc ennuyeuse – mais sert avant tout à créer de nouvelles formes musicales échappant à tous qualificatifs. La vélocité impressionnante du jeu de Colin Stetson couplé à l'enregistrement pointilleux des nombreuses aspérités sonores liées à son instrument – on y entend le souffle ou les cliquetis produits par les clés – transforme alors le saxophone de l'artiste en animal féroce traversant une succession de tableaux à la nature sauvage et luxuriante. Loin du rôle de "sax hero" (comme on disait guitar hero pour d'autres) ou "homme-saxophone-orchestre" qu'il pourrait endosser par sa maîtrise, Colin Stetson reste surtout un sulpteur sonore avant-gardiste et passionnant.
Avec When we were that what wept for the sea, Colin Stetson nous offre un magnum opus qui pèche peut-être par trop de générosité – l'album contient 16 morceaux et certaines longueurs se faisant ressentir sur ses 70 minutes – mais qui nous immerge néanmoins dans une œuvre ensorcelante et parfois imprévisible. L'album alterne ainsi les morceaux de bravoure (When we were that what wept for the sea ci-dessous, Infliction, la rugissante Fireflies, The Surface and The Light...), les respirations magiques (The Lighthouse I, Passage, la magnifique clôture Safe With Me) et quelques propositions inédites (l'invitation du smallpipe de l'écossaise Brìghde Chaimbeul sur Lighthouse II ou du chant de l'irlandais Iarla Ó Lionáird sur The Lighthouse III). When we were that what wept for the sea ne surprendra certainement pas les amateurs du saxophoniste mais offre toutefois un album tentaculaire synthétisant parfaitement l'univers mutant et protéiforme de ce compositeur et musicien hors-norme.
Chroniqué par
Romain
le 15/05/2023