I'm deranged chantait David Bowie sur le bizarroïde 1. Outside de 1995, la chanson étant surtout connue pour avoir accompagné ce générique. En élaborant depuis quelques années sous l'alias Yves Tumor une pop hybride dérangée et dérangeante, un certain Sean Bowie – nom véritable pour sa part – pourrait aujourd'hui en dire tout autant. Le multi-instrumentiste et producteur américain souhaite clairement ne pas caresser le pavillon auditif dans le sens du poil et agglomère des formes disparates puisant autant dans les loops hypnotiques d'une electronica assez exigeante (ses albums sont quand même signés chez PAN et Warp) que dans le bruitisme extrême et plus largement dans toutes sortes d'expérimentations sonores. Sa musique s'est toutefois acheminée vers des formats plus directement accessibles avec son précédent album Heaven to a Tortured Mind sorti l'année dernière, délaissant "l'esprit torturé" du passé pour viser les cieux d'un soul-rock au chant plus prononcé et aux guitares quelquefois baveuses sans pour autant sombrer dans les tréfonds d'une pop calibrée pour les ondes radio.
Ceux qui craignaient un tel basculement mainstream pourront en tout cas se rassurer à l'écoute de ce remarquable EP qui prolonge d'une part l'expérience "soft" de son dernier opus, le single Jackie faisant le lien, mais qui resserre d'autre part les vis d'une pop certes moins torturée qu'auparavant mais toujours aussi tortueuse et aventureuse. Yves Tumor continue ainsi de composer cette fameuse "serpent music" donnant son nom à l'un de ses albums, soit une musique sinueuse et imprévisible, qui enlace chaleureusement pour ensuite mieux planter ses crocs et injecter son venin. The Asymptotical World offre alors un enchaînement de morceaux fiévreux et faussement sirupeux, flirtant avec le shoegaze (Crushed Velvet ci-dessous), la cold wave (Secrecy Is Incredibly Important To The Both of Them), le glam rock poisseux ou encore les ambiances maladives d'une electro assez dark (l'excellente Tuck portée par la voix de Agnes Gryzckowska). Plus qu'un simple supplément à son dernier opus, cet EP est surtout le témoignage d'un artiste en pleine forme créative donc vivement la suite.
Chroniqué par
Romain
le 31/07/2021