Pour nous, 2013 n'a pas été une année comme les autres. La nouvelle version de dMute, lancée en septembre dernier, l'atteste de manière suffisamment imagée. Notre activisme jamais aussi forcené le démontre aussi! Or, ce qui est drôle, c'est qu'au moment fatidique de lancer un dernier regard dans le rétroviseur de l'année 2013, nous nous apercevons qu'il est sans doute encore trop tôt pour nous retourner, et dire, ce que justement, nous avons fait de dMute (au hasard: vaste reformatage audacieux, recombinaison subliminale ou lifting éhonté? A vous de voir...).
Ce que nous savons en revanche, c'est que vous êtes de plus en plus nombreux à sacrifier votre temps potentiellement productif pour nous lire et vous infliger nos délires musicaux (acceptez nos courbettes). Car oui, plus que tout, nous délirons la musique au moins autant qu'elle nous délire. Et c'est ce délire-musique, plutôt qu'un coup de massue pseudo-musicologique, que nous voulons continuer à partager avec vous.
Nous avons donc choisi de ne pas faire un top des meilleurs albums de 2013 (sinon pour le plaisir gratuit de nos égos démesurés). Non pas par snobisme, mais parce que justement, nous délirons trop la musique pour résister à l'idée de vous absorber à l'intérieur de ce délire-musique. La seule règle est que le délire ne peut consister en un partage arbitraire ou en une sélection hiérarchique. Dans le délire-musique, chaque oeuvre se répète nécessairement dans une autre, la transforme à son tour pour créer de nouveaux ensembles délirants. Les albums qui suivront n'auront donc pas valeur de sélection mais d'ensembles délirants, de blocs se délirant les uns les autres. Nous vous proposons donc en lieu et place d'un top ou d'une sélection, 4 mouvements délirants se délirant mutuellement à l'infini jusqu'à former peut-être notre propre tableau schizoïde de l'année 2013.
I - L'HORREUR, L'HORREUR… (APOCALYPSE NOW)
crédit photo: Edward Burtynsky
Dans les régions les plus extrêmes, la musique techno a régné en maître. Sur Recur du duo britannique Emptyset, sa dégénérescence n'était plus le symptôme d'une déperdition physique ou le signe avant coureur d'une mort maintes fois annoncée, mais un motif qui se démantèlait lui-même, à la fois dans l'inadéquation des rythmes et l'hyper saturation du son.
Cette violence aveugle, on la trouvait également chez le producteur Shifted dont le premier opus Under A Single Banner célèbrait la fonctionnalité autoritaire du rythme de la techno. Plus de prétexte ici, si ce n'était de retourner en boucle le bas matériel du son contre le matérialisme tous azimut de notre condition.
Dans d'autres régions que la techno, mais tout aussi boréales, la déliquescence, l'apocalypse se résolvaient dans le hurlement. Car là où le corps de la musique butte, les formes d'expression se raréfient comme l'air. Sur No Answer: Lower Floors des vétérans de Wolf Eyes enfin rassemblés, le discours ne s'ornementait plus. Mortellement blessé, retiré en lui-même, il criait dans le vide, se prenait pour le vide.
DECONSTRUIRE LA MUSIQUE (LA MUSIQUE "DERIDEE")
crédit photo: Axel Hütte
A la chanson comme paysage figé, Sylvain Chauveau apposait (plutôt qu'opposait) un manifeste déconstructiviste: le zen Kogetsudai. Six pièces Cagienne pour "dérider" la musique. Aller voir ce qui reste après la mélodie et les formats balisés et éprouver enfin, à l'orée du silence, les textures, les dynamiques et l'harmonie dans l'indétermination la plus didactique, c'est à dire la plus problématique.
Un pari réussi par le groupe Cave sur leur troisième album Threace et les quatre minutes haletantes et conclusives du titre Sweaty Fingers. Un tour de force stakhanoviste où la mise en boucle forcenée du genre épuisait ses dernières forces pour le propulser en dehors de de sa propre histoire, au delà de toutes formes connues.
Sur NYC, Hell 3:00AM du geek James Ferraro, déconstruire la musique était encore une nécessité mais qui répondait à un autre crédo: en finir avec la pop et ce, en se jouant de sa propre idéologie. Chez Ferraro, les mélodies du R&B révèlaient leur outrance fonctionnelle et la pop, le flou politique de ses motifs, dans un trip narratif et mutant, hanté par la vacuité de l'Amérique post-11 septembre.
TROPISME ANALOGIQUE (L'INCONSCIENT PRIMITIF)
crédit photo: Mimmo Jodice
En appelant son deuxième album The Inheritors, James Holden explicitait le mieux cet inconscient analogique au travail au coeur de la musique contemporaine. Remontant au moment zéro de la musique électronique, entrecroisant l'ancien et le nouveau dans des mélodies épiques, le britannique célébrait un véritable culte des ancêtres, créant de nouvelles zones d'achoppement entre la sauvagerie et la modernité, les synthétiseurs antédiluviens et les sirènes d'une pop de plus en plus hybride et atemporelle.
Une nouvelle sensibilité rétrofuturiste née sur les ruines du punk et du krautrock usinée également chez le trio Factory Floor sur son premier album éponyme. Entre cybernétique du désir et hypnagogie industrielle, le power trio emmenée par la machinique Nick Colk Void caressait le fantasme d'un dancefloor foulé par des silhouettes indistinctes, à ce point perdues dans la brume d'une extase robotisée qu'on les croirait désormais actionnées comme sur une chaîne de production.
Confondant toujours la musique électronique la plus primitive aux expériences transcendantales, Oneohtrix Point Never faisait quant à lui le rêve d'une kosmische musik désormais perdue dans le temps, emboîtant les styles et les époques dans une escalade vertigineuse et nauséeuse, révélant en fin de compte sur R Plus Seven ce que cet inconscient analogique recèle aussi d'angoisse refoulée, de vacuité mortifère.
LE SON DU SILENCE (L'EXTREME DES POSSIBLES)
crédit photo: Taylor Deupree
Suivant les méandres salins de la mer d'Aral, les field-recordings du sound-designer suisse D'incise captaient dans le grain même du son les traces de ce qui ici avait disparu. Sur (Aral), les drones serpentaient le long du spectre sonore et, contre l'absence, nous rappellaient qu'une mer se tenait là où désormais les coques éventrées des bateaux sont enfouies dans les sables de l'Asie centrale.
C'est comme un hors-champs que la musique révèlerait soudain et dans lequel elle viendrait elle-même à se perdre. Jusqu'à dépasser sa propre manifestation, comme sur le troublant Aurora Liminalis du duo Richard Chartier & William Basinski sur lequel ne demeurait plus qu'une traînée de radiation, cette unique trace silencieuse laissée par la musique une fois absorbée dans le vide au-delà d'elle-même.
C'est encore cette antichambre de la disparition que Disappearance, l'oeuvre d'un autre duo de compositeurs minimalistes, le pianiste Ryuichi Sakamoto et le sound-desiger Taylor Deupree, arpentait en se laissant happer dans le flux indéterminé du son: le flux du son se succédant à lui-même. Une lente dérive immatérielle jusque dans le vide, ce silence originel qui n'a jamais été autre chose que la seule condition vitale à l'apparition de la musique et auquel elle retourne perpetuellement...
Top 5 des membres de la rédaction:
Michael B.
01/ Emptyset - Recur
02/ Tim Hecker - Virgins
03/ Factory Floor - S/T
04/ James Holden - The Inheritors
05/ Cave - Threace
Jérôme Orsoni
01/ Sakamoto + Deupree - Disappearance
02/ Cave - Threace
03/ Moskitoo - Mitosis
04/ The Necks - Open
05/ Sons of Frida - Tortuga
Ikhlas
01/ Denzel Curry - Nostalgic 64
02/ Young Scooter - Street Lottery
03/ Le$ - E36
04/ Gunplay - Acquitted
05/ Starlito - Cold Turkey
Guillaume C.
01/ The Flaming Lips - The Terror
02/ David Lynch - The Big Dream
03/ Scout Niblett - It's up to Emma
04/ Nick Cave and the Bad Seeds - Push the Sky Away
05/ Islet - Released by the Movement
Yvan
01/ Blixa Bargeld & Teho Teardo - Still Smiling
02/ Raoul Sinier - Welcome To My Orphanage
03/ Recondite - Hinterland
04/ Oscar Mulero - Biosfera
05/ Darkside - Psychic
Patrice Vibert
01/ Nick Cave and the Bad Seeds - Push The Sky Away
02/ My Bloody Valentine – MBV
03/ Cave – Threace
04/ Toy - Join The Dots
05/ Jacco Gardner - Cabinet Of Curiosities
Matthias Fuchs
01/ Tim Hecker - Virgins
02/ The Knife - Shaking the Habitual
03/ Oneohtrix Point Never - R+7
04/ Kanye West - Yeezus
05/ Rashad Becker - Traditional Music Of Notional Species Vol. 1
Témoin A.
01/ Mat3r Dolorosa - Think about your future now
02/ Braintheft - Pressure Drop
03/ Kaly live dub - Allaxis
04/ Monsieur Grandin - The Electric Horseman & The Dancing Movie
05/ MnMs - Simple Sample (of a Sweet Life)
Antony
01/ Disappears - Era
02/ Deerhunter - Monomania
03/ Factory floor - S/T
04/ Recondite - Hinterland
05/ Shifted - Under A Single Banner
David Buisson
01/ Nick Cave and the Bad Seeds - Push The Sky Away
02/ Cave - Threace
03/ Jacco Gardner - Cabinet Of Curiosities
04/ Shannon Wright - In film sound
05/ David Lynch - The Big dream
Noémie
01/ Jessica93 - Who Cares?
02/ The Knife - Shake The Habitual
03/ Shannon Wright - In Film Sound
04/ Ghostpoet - Some Say I So I Say Light
05/ Nick Cave & The Bad Seeds - Push The Sky Away
Benoit Deuxant
01/ Pye Corner Audio - Sleep games
02/ Cindytalk - A life Is Everywhere
03/ Jan St Werner - Blaze Colour Burn
04/ Yves De Mey - Frissons
05/ The Stranger - Watching Dead Empires In Decay
Julien Héraud
01/ Keith Rowe & Graham Lambkin - Making A
02/ Antoine Beuger & Michael Pisaro - this place/is love
03/ Coppice - Big Wad Excisions
04/ Wolf Eyes - No Answer: Lower Floors
05/ Mohammad - Som Sakrifis