Après deux albums réalisés avec l’aide de Sonic Boom (les excellents Tomboy et Panda Bear Meets The Grim Reaper), Noah Lennox s’adjoint de nouveau les services de Rusty Santos – producteur de Person Pitch –, pour son nouveau disque Buoys, disponible depuis le 8 février dernier. S’éloignant des riches boucles dub qui caractérisaient son travail avec l’ex-Spacemen 3, Panda Bear propose un retour à un son davantage aéré et acoustique, où la guitare sèche évoque tout aussi bien les débuts de sa bande Animal Collective que ses premiers essais en solo. Chaque album de l’américain apportant son lot de nouveautés sonores, Buoys offre toutefois une combinaison inédite de folk et d’électronique minimaliste, et voit le chanteur transformer sa voix, de manière inattendue, par le biais de l’outil (souvent controversé) de l’autotune (« Master », « Dolphin »...). Une palette de textures hypermoderne, jouant sur les contrastes entre émotions brutes et synthétisme contemporain, non sans rappeler – dans sa démarche, plutôt que dans son résultat –, le folk urbain d’un Dirty Projectors. L’apparente simplicité des morceaux, dont les structures reposent souvent sur un nombre infime d’éléments – voix, guitare, basse électronique, ou encore quelques gouttes d’eau en guise de section rythmique sur le novateur « Dolphin » – se révèle être au fur et à mesure des écoutes, une habile mise en relief de chacune de ses sonorités ; comme en témoigne le bien nommé « Crescendo », grower emblématique du disque. Avec ce nouveau procédé radicalement différent du maximaliste Grim Reaper – tout du moins dans ses parties instrumentales –, Panda Bear parvient à faire de chaque espace laissé vacant, une composante du dynamisme de ses morceaux. Accords de guitare ou parties vocales, ainsi détachés les uns des autres, font parfois de ces chansons faussement inanimées, à l’image de l’entêtant combo central « Master » / « Buoys », de véritables bijoux d’efficacité, démontrant au passage que l’artiste reste un des plus importants mélodistes de son temps. Intrigués par la nouvelle direction artistique de ce sixième album solo, nous avons posé quelques questions à son fascinant créateur.
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Gil : Comparé au maximalisme de ton dernier album, Panda Bear Meets the Grim Reaper, la simplicité de Buoys est étonnante.
Panda Bear : Oui, c’est pratiquement l’opposé. Le but était autant de faire quelque chose d’épuré que de faire quelque chose de différent. Il y a quelques éléments sur les 3 précédents albums, certaines esthétiques, des façons de produire et des techniques dont j’étais sûr de vouloir m’éloigner. Je ne peux pas dire que j’avais une idée très claire de ce que ça allait donner au début mais en l’absence des choses que je ne voulais pas répéter, j’espérais que le résultat allait être différent.
Ce retour à un son plus folk a tout de même été décidé en amont ?
C’était un peu un concours de circonstances. Dave et moi étions en train de faire la tournée Sung Tongs il y a environ un an et ça m’a pris un moment avant de réussir à rejouer de la guitare parce que je n’en avais pas fait depuis longtemps. J’avais l’impression de ne pas avoir assez de force dans les mains. Et entre temps je m’entraînais sur ce qu’on venait de composer, les morceaux de Buoys. Donc il y a comme un lien direct entre les deux. Les réglages de la guitare sont par exemple exactement les mêmes que pour Sung Tongs. En réalité, il y a plusieurs connexions visibles. L’un est ce lien avec Sung Tongs, l’autre est le rapprochement, par le travail de Rusty, avec Person Pitch. Sans parler des pleurs interprétés par Lizz [une DJ et chanteuse chilienne, rencontrée par le biais du producteur, ndlr] sur une des chansons [l’émouvant « Inner Monologue »], qui étaient son idée, et qui m’ont tout de suite rappelé le morceau « Bros ». J’ai en quelque sorte une vision similaire de Person Pitch et de « Inner Monologue ». Et en dehors de tout ça, je me suis dit que cette chanson représentait, de bien des manières, une nouvelle direction pour moi, même si je ne sais pas encore si je continuerai dans cette voie…
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Est-ce que ce retour à un son plus brut, tout en continuant à utiliser des sons électroniques, est quelque chose que tu as initié sur ton dernier EP, A Day With The Homies ?
Pour moi, Homies et Buoys sont comme les 2 faces d’une même pièce. Je les ai toujours imaginés connectés, d’une certaine façon. Il y a deux ou trois choses que j’essayais de faire avec Homies mais auxquelles je ne parvenais pas vraiment. En particulier pour la voix, que je voulais enregistrer en une seule prise mais je n’ai jamais su comment faire. Donc le son et le traitement de la voix me font plus penser à ce qui s’est fait pendant les 10 dernières années. Concernant Buoys, j’avais l’impression d’avoir échoué. Quand j’ai commencé à travailler dessus avec Rusty, je voulais vraiment que ça donne quelque chose. L’autotune a pratiquement été sa première suggestion, et dès l’instant où on a trouvé des manières de le faire qui nous ont plu, on a commencé à construire cette sorte de « lit vocal » sur lequel allait se poser l’autotune. Je dirais que les deux éléments sur lesquels on a passé le plus de temps étaient la production vocale et les sub-bass, toutes les fréquences très graves. Peut-être bien la guitare aussi mais je trouve que son rôle est en quelque sorte réduit, dans le mix. Ces trois éléments sont des sortes de piliers, autour desquels s’est construit le son de l’album.
Même si le son de Buoys est très différent de ton précédent album, j’ai l’impression qu’en termes de structures, les morceaux sont assez proches. De la mème manière que sur Grim Reaper (comme sur le morceau « Come To Your Senses », où tu répètes « Are You Mad ? », entrecoupés de silences), tu utilises des boucles qui semblent déconnectées au début mais finissent par former une mélodie, après plusieurs écoutes. Ta façon de composer a-t-elle évolué depuis Grim Reaper ?
Je dirais que oui, en tout cas j’espère. J’aime essayer de nouvelles choses à chaque fois. Je sais qu’il y a toujours des similitudes et souvent, quand je réécoute mes anciennes musiques, je trouve qu’il y a plus de similitudes que ce que j’avais imaginé à l’époque. Essayer de se renouveler, ça permet de conserver un côté « fun ». Au-delà de ça, je pense que nos goûts changent constamment. Ce dans quoi tu te plonges à un moment donné, ce qui t’excite le plus, fluctue constamment. Donc j’essaie d’être attentif à tout ça. Mais ce n’est pas uniquement dû à ce que j’écoute. D’autres choses peuvent avoir une influence. Par exemple, concernant la longueur des albums. Buoys et Homies durent tous les deux environ 35 minutes, et je pense que c’est directement lié à la façon dont j’écoute de la musique aujourd’hui. Pour moi, c’est comme une sorte de durée parfaite pour l’écoute d’une œuvre musicale. Il y a 15 ans, j’avais plus envie de me plonger dans un truc pendant 2 heures.
Tes mélodies, et celles d’Animal Collective, nécessitent souvent de nombreuses écoutes pour être comprises et devenir entêtantes. Comment parviens-tu à créer cette sorte d’effet à retardement ?
Je cherche en partie à les construire de cette manière ; qu’elles soient gratifiantes au bout de 200 écoutes ou uniquement deux, mais d’une façon différente. C’est aussi dû au fait que je passe beaucoup de temps sur chaque chanson, en l’écrivant puis en la modifiant, ensuite en la produisant et en la remodifiant… C’est une méthode qui joue sur les réglages. Et enfin, j’essaie aussi, par ce procédé, de rester intéressé par ce que je fais. Je rajoute beaucoup de détails pour que les chansons se révèlent avec le temps, plutôt que de tout dévoiler d’un coup.
C’est plus compliqué d’obtenir cet effet dans un album minimaliste comme Buoys, que dans ceux d’Animal Collective, qui en général fourmillent de détails ?
Je crois que oui, tout simplement parce qu’il y a moins de matière avec laquelle jouer. Mais l’envie de rajouter plein de choses aux morceaux de Buoys, c’était quelque chose contre lequel j’essayais tout le temps de lutter, justement. Parfois je me disais « Pourquoi ne pas incorporer ici quelques éléments qui attireraient l’attention ? », mais je ne voulais vraiment pas faire ça cette fois-ci. Donc j’ai fini par construire une sorte de modèle minimaliste, puis par ajuster certains éléments pour qu’ils semblent intéressants sur la durée, que ce soit par l’ajout de delays ou de filtres qui donnent un mouvement à l’ensemble. Prendre les éléments de base des arrangements et jouer avec tout au long du morceau, de façon à ce que celui qui l’écoute voyage avec. Je ne dirais peut-être pas que c’était plus difficile mais c’était clairement un procédé différent de ce que j’avais fait avant. J’ai aussi constaté que les sub-bass n’allaient pas fonctionner de la même façon s’il y avait trop de sons autour. Lorsque c’est trop nébuleux, chargé, la basse ne débarque pas de la même façon. Le fait que l’album soit aussi minimaliste est en partie dû au fait que Rusty et moi voulions préserver la puissance et la profondeur de ces sonorités.
Tu cherchais, avec l’usage de l’autotune, à repousser les limites de ton univers sonore ?
De mon point de vue, c’est l’idée que Rusty m’a soumise lorsque je lui ai fait part de mon envie d’enregistrer les parties vocales en une seule prise. J’étais d’accord pour essayer. Ca a donné, selon moi, une sorte de texture ou d’épaisseur à ma voix, que je recherchais réellement. Depuis Person Pitch, j’avais l’impression de n’avoir fait qu’empiler des voix, réaliser des harmonies pour essayer de créer cette épaisseur. Ce qui a fini par me sembler brouillon, pratiquement comme une sorte de nuage, mais d’une façon que j’aimais à l’époque où je l’ai fait. L’autotune a donné à ma voix une sorte d’épaisseur « plastique », que j’ai trouvée plutôt cool. Je me demande ce que Rusty répondrait… Il se peut qu’il ait eu des motivations différentes des miennes. C’est aussi pour ça que j’ai voulu travailler avec lui. Il a une approche des choses différente de la mienne, qui était intéressante pour l’album. Au final, je n’avais pas planifié le son de l’album. C’était sûr que ça allait être basé sur la voix et la guitare mais l’univers sonore est venu plus tard. « Dolphin » a été le premier morceau où on s’est dit que cet ensemble d’éléments fonctionnait, et après ça on a voulu appliquer ce modèle à toutes les chansons. Il a permis de définir le son de l’album, et c’est un peu pour ça que je voulais que ce soit le premier titre que les gens entendent.
Tes paroles semblent très métaphoriques. Tu abordes toujours les thèmes des liens familiaux ou amicaux, qui te sont chers, dans Buoys ?
Oui, les textes sont très symboliques. Je pense que les sujets principaux de cet album sont l’humilité, l’acceptation, un sentiment d’intégration et l’amour, probablement. Tous les différents types d’amour. J’ai l’impression que ce sont les sujets que j’aborde continuellement. La plupart des symboliques reflètent tout ça. D’une certaine façon, « Token » parle d’amour, juxtaposé à une thématique sexuelle. Dans pas mal de titres, il y a beaucoup d’imageries hyper sexuelles, mais ça apparaît de nulle part. Je trouve ça amusant, d’une certaine façon. Je ne dirais pas que c’est à hurler de rire mais ça me fait sourire. Je voulais faire des sortes de blagues pour rendre l’album plus léger.
Comme la phrase « A slap on a jelly ass » dans « Token » ?
Oui, celle-là est mémorable. (rires)
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Certains artistes commencent à sortir des albums solos lorsqu’ils en ont marre de leur groupe, mais toi, tu as commencé légèrement avant Animal Collective. Est-ce que l’équilibre entre tes deux personnalités artistiques a évolué au fur et à mesure des années ?
Oui, parfois elles semblent grandir ensemble et à d’autres moments, elles le font séparément. Mais ça me plaît. Ca me permet en quelque sorte de « rester à l’affût ». J’ai l’impression parfois que ces différentes perspectives créent quelque chose de vraiment intéressant, et à d’autres moments, non. Je pense, du moins de mon point de vue, que lorsque je fais quelque chose de mon côté, des aspects de ce travail s’insinuent dans l’album suivant d’Animal Collective. Le fait de travailler avec les autres, l’équipement, les façons d’écrire des chansons, des paroles ou de chanter… Tout ça finit par nourrir le disque d’après. Je ne suis pas certain que Person Pitch ait tant influencé que ça les autres membres du groupe pour Merriweather Post Pavilion, comme on peut souvent le lire. Mais l’équipement que j’utilisais sur Person Pitch était le même que pour Merriweather donc, me concernant, il y a un lien entre les deux.
Ton processus de création en solo est-il différent de celui pour Animal Collective ?
Ca a changé au fur et à mesure des années. Avant, j’avais besoin de savoir à qui allait être destiné ce que je composais, si ça allait être pour le groupe ou pour mon travail en solo. Mais maintenant, je sens que cette frontière est plus floue. J’ai écrit quelques démos il y a environ 6 mois, qui pourraient convenir aux deux projets. Je donne le maximum au groupe et s’il y a des morceaux qu’ils aiment, on les utilise. C’est en parti dû au fait qu’on a joué beaucoup de nos anciennes chansons, ces derniers temps. Ce n’est pas quelque chose que nous avions l’habitude de faire mais c’est devenu très commun pour nous de choisir quelques anciens morceaux à chaque tournée, et d’essayer de les réinventer, peu importe l’esthétique initiale. Je pense qu’on est maintenant à l’aise avec cette idée. Quand on se retrouve ensemble dans une pièce, mes démos peuvent être complètement transformées. Et je ne veux pas trop imposer d’idées en disant par exemple « Oh non, il faut qu’on utilise cette ligne de basse ! » Je pars d’une forme générale et après on voit ce qu’il se passe, quelle est la vision des autres par rapport au morceau. Ca produit des résultats qui sont souvent surprenants et intéressants. Je pense que seul, j’ai déjà une certaine idée d’où je veux aller avec ce que j’écris, mais avec le groupe, des choses que je n’avais jamais imaginées peuvent arriver à tout moment. C’est ce qui est excitant.
Les fans ont pu être surpris de voir le groupe passer du très pop et dansant Painting With à des disques plus folk et mélancoliques, comme Meeting of the Waters et Tangerine Reef.
Quand je regarde l’histoire du groupe, ça ne me paraît pas hors de propos, notamment quand je compare ça à Here Comes The Indian et Campfire Songs, qui ont été faits au même moment mais qui sont complètement différents, selon moi. On est peut-être en quelque sorte schizophrènes, en tant que personnes créatives.
Certaines personnes se sont inquiétées en lisant les paroles de A Day With The Homies, y voyant ton possible départ du groupe. D’autant plus que tu n’as pas participé à Tangerine Reef. Qu’est-ce que ces textes signifiaient pour toi ?
J’aime le fait que chacun puisse interpréter les paroles à sa façon. Je trouvais ça intriguant et intéressant d’écrire des mots qui semblaient un peu indéfinis et ouverts mais je ne peux pas dire que j’ai voulu parler de ma situation vis-à-vis du groupe. Ca a du sens pour moi ou ça résonne en moi d’une façon très particulière. Je ne voudrais pas écrire quelque chose qui n’a aucun sens du tout mais j’aime créer des choses qui paraissent flexibles, où chacun peut se retrouver.
Tu travailles déjà sur de nouveaux projets solos ou avec Animal Collective ?
Oui, j’ai probablement écrit plus de chansons ces 4 derniers mois que durant n’importe quelle autre période de ma vie. Je pense qu’on va se réunir pendant l’été pour commencer à travailler ensemble. Mais je ne peux rien confirmer pour le moment.