Lorsque David Lynch annonçait il y a deux mois à ses followers (on dit comme ça maintenant) l'arrivée d'un nouveau projet "à voir et à entendre", on osait presque espérer attendre de sa part un futur long-métrage ou, qui sait, une suite à la folle et magistrale aventure qu'était Twin Peaks: The Return (2017). Que nenni, il s'agissait finalement d'un clip (celui de Sublime Eternal Love ci-dessous) préfigurant l'album que nous avons aujourd'hui entre les mains. Rappelons que le cinéaste américain n'a jamais hiérarchisé les différentes disciplines artistiques qu'il exerce et la musique tient chez lui une part aussi primordiale que le cinéma, la photographie, la sculpture et la peinture. Tous ces arts sont même chez Lynch connectés entre eux par le fil invisible des idées, qui viennent ou ne viennent pas, qui se projettent ou ne se projettent pas, et à ce titre on ne peut que recommander le documentaire David Lynch: The Art Life (2016) pour creuser les origines de ses inspirations.
Moins qu'un pas de côté ou une parenthèse que s'offrirait David Lynch entre deux projets "sérieux", Cellophane Memories doit plutôt être perçu comme une nouvelle extension de son univers, extension rattachée au passé puisqu'il retrouve ici Chrysta Bell, actrice qui jouait l'agente spéciale Tamara Preston dans Twin Peaks: The Return et avec qui il avait déjà collaboré musicalement par le passé (Polish Poem). Cellophane Memories s'inscrit dans ce qui semble être l'autre idéal musical de David Lynch après les ambiances ombragées et industrielles parcourant son œuvre discographique tardive longtemps après la bande-son d'Eraserhead (1977), à savoir un idéal musical plus cotonneux qui mélangerait voix féminines éthérées, blues lunaire, sonorités vaporeuses et romantisme exacerbé.
Cette collaboration laisse forcément planer sur l'album le spectre de deux figures musicales importantes du Lynchland nous ayant hélas récemment quittés, la chanteuse Julee Cruise et le compositeur attitré du cinéaste Angelo Badalamenti. Cellophane Memories surprend toutefois en invitant l'auditeur à traverser des chansons dream-pop sur la brèche dans lesquelles la voix évanescente de Chrystabell est démultipliée à foison, parfois trafiquée voire inversée comme si elle logeait dans la redroom de Twin Peaks. Le procédé atteint peut-être sur la longueur ses propres limites mais propose une expérience sonore troublante qui par ailleurs rappelle, par cette traversée de miroirs déformants et fragmentés, les cheminements intérieurs vertigineux des grands personnages féminins de David Lynch comme celui de Naomi Watts dans son chef d'œuvre Mulholland Drive (2001) et le véritable "Laura Dern Movie" qu'est Inland Empire (2006), film le plus abscon et injustement mal aimé de l'artiste. Ceux qui pensaient en tout cas s'échapper du labyrinthe lynchien par la porte dérobée d'un album y retourneront donc par une autre porte. Soyez-en certain : on ne sort jamais du Lynchland.
Chroniqué par
Romain
le 03/08/2024