"I want to live in a democracy. Somewhere where art is free." Ces deux vers entamant la chanson Freedom nous rappellent justement à quel point cette liberté n'a en aucun cas manqué à Jenny Hval dans la pratique de son art. Depuis maintenant plus de dix ans, cette autrice compositrice norvégienne a creusé un sillon assez inclassable, parfois inconfortable, soufflant le chaud et le froid à travers des albums particulièrement déconcertants. Avec ses rêveries cotonneuses, ses bizarreries plus ou moins conceptuelles et ses sorcelleries jettant de mauvais sorts, Jenny Hval a emprunté une voie musicale pour le moins singulière. Cependant, sa musique semble au fil des albums s'apaiser, se débarasser de ses tourments et prendre un tournant plus ouvertement pop qui pourrait parfois la rapprocher d'une sorte de Kate Bush contemporaine. Ce dernier Classic Objects est ainsi une nouvelle étape sur ce chemin allant vers une forme d'épure .
Que l'on se rassure, Jenny Hval n'a pas encore basculé dans une pop trop polissée voire calibrée pour les ondes FM, elle poursuit au contraire une trajectoire libérée de toutes contraintes. Peut-être a t-elle choisi de séparer son œuvre en deux, laissant d'une part son appétit pour l'expérimentation à quelques projets annexes comme son duo Lost Girls formé avec le multi-instrumentiste Håvard Volden (l'excellent Menneskekollektivet sorti l'année dernière) et visant d'autre part une dream-pop claire et limpide. Et à en entendre l'humeur générale de ce nouvel album oscillant entre pop évanescente à la Cocteau Twins, voix sublimement diaphane et percussions parfois orientalisantes (celles de Year Of Sky flirtent avec certains titres du Into The Labyrinth de Dead Can Dance), la signature récente de l'artiste chez 4AD ne surprend finalement pas.
Les chansons de ce Classic Objects échappent en tout cas au format couplet/refrain que l'on retrouve chez d'autres artistes vaporeux de la dream-pop (Beach House et son beau double-album Once Twice Melody sorti récemment) et préfèrent dessiner des formes moins évidentes, des structures évolutives et purement immersives, quelque part entre éclosions sonores (la quasi trip-hop American Coffee) et autres digressions surnaturelles (la magnifique Jupiter). Cemetery of Splendour emprunte quant à elle son nom à un film du thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, cinéaste avec qui Jenny Hval doit certainement partager un certain goût pour l'abstraction et la métaphysique. Belle promesse d'un avenir radieux, ce Classic Objects sera peut-être l'album-passerelle qui fera découvrir cette artiste majeure à de nouveaux venus.
Chroniqué par
Romain
le 21/03/2022