Méconnu du public occidental, Ogre You Asshole est une référence dans son pays natal, le Japon. Le groupe bourlingue la scène musicale nippone depuis une bonne dizaine d’années (voire plus) avec son son pop-rock laid-back intello et son nom à faire sursauter une grand-mère anglaise. Le projet est depuis longtemps plébiscité par de nombreux artistes et formations japonais, notamment Asian Kung-Fu Generation (l’équivalent local d’un Coldplay). Mais ils sont également très prisés des artistes occidentaux comme Johnny Marr des Smiths, le fantasque néo-zélandais Connan Mockasin ou encore James McNew des Yo La Tengo, qui s’est amusé à remixer deux de leurs titres en 2017. Rien que ça.
Favorisant une pop assumée pop, le quartet ne néglige pas pour autant les guitares aux sonorités surf, les rythmes aux accroches funky et les arrangements toujours plus originaux les uns que les autres : indie rock, samba, krautrock, psyché pop sont nombres de styles par lesquels se dessinent les paysages contemplatifs du groupe de Nagano. Originellement un duo formé avec son frère, le projet de Manabu Deto a par la suite rapidement pris en ampleur. Après des débuts plus orientés rock (leur première album Ogre You Asshole de 2005), auxquels ont fait suite plusieurs singles, EP et albums de plus en plus pop, le groupe s’est sans cesse remis en question et s’est progressivement assuré une place de qualité sur la scène indé japonaise… Et tout cela dans la plus grande modestie. La pierre angulaire de leur discographie est sans aucun doute leur effort de 2011 Homely, leur quatrième album dont les couleurs pop jazzy servent à souhait la voix fragile de Manabu Deto. Pour exemple, les titres ロプ (Rope), フェンスのある家 (The house with the fence) ou encore同じ考えの4人 (The four men with the same idea).
Ce neuvième album s’aventure donc assez loin de leurs débuts guillerets, là où l’EP 浮かれている人 (Elated People) faisait la part belle aux accords majeurs et enjoués (バランス - Balance) et aux petits riffs de guitare emprunts de delay (真ん中で - At the True Center). C’est ici un groupe plus posé et certainement plus mature qui fait le pari d’opérer sa mue en épurant au maximum son jeu, d’années en années. La mutation avait déjà commencé sur leurs précédents albums. D’abord avec ペーパークラフト (Paper Craft) dont le morceau éponyme s’étale sur une longue litanie incompréhensible dénuée de batterie. Puis avec ハンドルを放す前に (Before I let go the handle) où le titre rond et moelleux あの気分でも一度 (Even in that mood) aurait pu servir de musique d’ambiance à quelconque soirée feutrée. Perpétuant encore plus cette vibe ronde, moelleuse et jazzy, 新しい人 (New Kind of Man) permet au groupe de se réinventer. Place au « nouvel homme » ou plutôt « nouveau groupe ».
Sensuel et dépouillé, à l’image de la pochette de l’album, les neuf pistes sonnent comme un coming-out masculin assumé dont l’ambiance chaleureuse et réconfortante qui en émane se laisse découvrir au fur et à mesure des écoutes. La chanson わかってないことがない (Each the Other) est un titre porté par un synthé jovial et une basse aux tons chauds. Le minimalisme de l’œuvre est également remarquable : l’usage de boîtes à rythmes et de petits bruits succincts accentuent cette sensation et permettent aux morceaux de se découvrir en douceur (ありがとう - Function Stops). Les codes historiques du groupe et le phrasé particulier de Manabu Deto sont également bien présents (さわれないのに - Me and Your Shadow).
On a donc à faire ici à un véritable « grower » qui s’écoute facilement et en toute tranquilité ; un bel effort musical dont les titres se rapprochent par moment d’un Mellow Waves de Cornelius (動物的/人間的 - High Tide, 自分ですか? - Somehow Being Myself). Cette transformation n’annonce donc que de bonnes choses. En somme, l’homme nouveau n’a donc pas complètement changé ; il est juste devenu une meilleure version de lui-même, toujours autant appréciable.