A bien y resonger, très rares sont les groupes comme Yo La Tengo ayant su maintenir un tel niveau d'excellence sur la durée, et ce tous genres confondus. Si chez le trio d'Hoboken cette excellence est quasi marathonienne (plus de 30 ans de carrière tout de même), elle reste toutefois discrète et modeste, traversant une discographie sans tumulte, débordant pourtant de générosité et jalonnée de quelques grands disques. Nous citerons notamment quelques sommets des années 90 lorsque le groupe semblait être à son apogée : les velvetiens et parfois bruitistes May I Sing With Me (1992) et Painful (1993), le classique instantané I Can Hear The Heart Beating As One (1997) ou encore le magnifiquement planant And Then Nothing Turned Itself Inside-Out (2000) et son long finale mémorable.
Puisqu'en bons petits génies de l'indie pop américaine ils ne cessent de nous prouver année après année qu'ils n'ont plus rien à prouver, nous recevons chacune de leurs nouvelles livraisons avec autant d'assurance que d'indulgence respectueuse, celle que nous nous devons d'avoir envers d'anciens sages. Cependant nous les recevons aussi avec certaines craintes : crainte de l'album de trop et de l'esbrouffe, de l'album du pas assez et du poussif, crainte aussi de la simple lassitude, la même contaminant aujourd'hui les opus récents de leurs vieux frangins du noisy rock Thurston Moore et Lee Ranaldo.
There's a Riot Going On démarre doucement sur une ritournelle electro-pop aux faux airs de The Sea & Cake, un morceau instrumental donnant le ton d'un album placé sous le signe de la sérénité et du psychédélisme soft. C'est d'ailleurs John Mc Entire qui a soigné le mixage final de l'album, lui conférant cette douceur enivrante innervant déjà leurs disques les plus légers et les moins "électriques" (le solaire Summer Sun en 2003). Aucunes chansons ne se démarquent réellement de ce nouveau cru car le groupe choisit ici de privilégier les textures sonores aux mélodies quand bien même l'album est loin d'en être dénué. There's a Riot Going On est ainsi un océan calme de sons fluctuants dans lequel surnagent quelques échappées pop et suaves, la plupart étant signées Geogia Hubley (Ashes, Shades of Blue et What Chance Have I Got).
Pour le reste, c'est Ira Kaplan qui s'en charge et il a décidé de larguer les amarres en nous offrant une collection de morceaux flottants et linéaires qui se passeraient presque de paroles : Above the Sound et ses percussions galopantes, la folk immersive de Dream Dream Away que l'on verrait bien accompagner un nouveau film de Kelly Reichardt (Yo La Tengo avait notamment signé la bande son de l'excellent Old Joy), Forever et ses réminiscences d'un autre temps (ce fameux "doo wap" tout droit sorti des sixties) ou encore les instruments foisonnants de la belle She May, She Might. Si ces morceaux échappent d'une part à tous types de format, ils démontrent d'autre part la volonté d'un groupe à ne jamais cesser de questionner sa propre musique, la chamboulant un peu au fil des albums, la faisant dériver vers des sphères voisines au gré de certaines collaborations (la dernière en date était avec Bardo Pond) et autres albums de reprises, ou la plongeant comme ici dans un cocon aux vertues apaisantes qui ne se révèlera peut-être pas tout de suite aux plus impatients. Une fois de plus, Yo La Tengo se moquent bien de mettre les pendules à l'heure ou les points sur les "i" et poursuivent tranquillement leur route majestueuse. A en voir à quel niveau la barre est encore placée aujourd'hui, cette route n'est pas prête de s'achever. "Forever".
Chroniqué par
Romain
le 17/03/2018