Plus connu comme membre du précieux groupe Zelienople, le chanteur guitariste Matt Christensen n'en est pas à son premier coup d'essai solo. C'est d'ailleurs le moins que l'on puisse dire car le chicagoan a soit dit en passant sorti pas moins de 14 albums (quoique seulement numériques) depuis le début de cette année. Cette petite mine d'or étant audible, téléchargeable au prix que l'on souhaite sur sa page bandcamp. S'ajoute donc à cette longue liste ce Honeymoons étant quant-à-lui distribué par Miasmah, label proposant là un joli pied de nez à ce que l'on peut attendre de lui, à savoir de la musique ténébreuse au goût de cendre et de fin du monde.
Cependant nous ne sommes pas tant hors sujet que cela à l'écoute de cet album, seulement ici les ténèbres ne sont plus celles des terres dévastées (Moss Garden de Svarte Greiner récemment) mais celles des abysses océaniques, celles-là même qui avaient été visitées par Labradford auparavant. Voilà un lieu à la fois généreux et cruel, accueillant miraculeusement la vie mais à la condition d'en avoir certaines contraintes telles la difficulté de se mouvoir à de telles profondeurs ou encore l'incapacité de voir le bout de son nez dans une pareille obscurité. Les êtres vivant là sont ainsi dotés de certains dons pour traverser cette nature hostile et Matt Christensen pourrait bien être de ceux-là. En effet, les chansons d'Honeymoons sont d'une part ralenties, non pas par la paresse mais par une pesanteur qui n'est plus la nôtre; elles sont d'autre part aveugles, semblant avancer à tâtons sans trop savoir où aller, guidées par l'inconnu, celui de sonorités nouvelles venant troubler la léthargie dans laquelle nous plonge parfois les instruments liquides et la voix particulière de l'américain.
Plutôt que de se livrer à de l'improvisation pure comme sur certains de ses autres disques solo, les compositions de cet album se développent - ou plutôt divaguent - autour de beats électroniques désarticulés n'offrant aucun repère et donnant naissance à quelques perles enveloppantes et faussement lancinantes laissant une impression paradoxale de mouvement figé. Désobéissante elle aussi, la voix de Matt Christensen se pose sur la musique sans s'imposer, où elle le veut et quand elle le veut, s'invitant à cette étrange danse aquatique des sons, renvoyant à l'intimisme du Laughing Stock de Talk Talk tout en le détraquant légèrement de l'intérieur. Une chanson échappe peut-être à cette sensation, le beau blues lunaire au titre évocateur "I'm See Through" où le rythme et la mélodie trouvent enfin la symbiose nécessaire pour "voir au travers" et ainsi faire en sorte que les ténèbres n'en soient plus.
Chroniqué par
Romain
le 15/12/2016