Le matin : il y a ceux qui l'embrassent tôt, à grand renfort de café ; d'autres qui n'y voient qu'une laborieuse transition du pieu vers le métro ; et J.J. Goldman pour qui ça ne sert à rien. Craig Tattersall, lui, en a tiré une expérience originale. "
Pendant quatre semaines, raconte-t-il,
j'ai enregistré chaque jour une chanson et me suis accordé une heure pour écrire, enregistrer et documenter le titre. J'ai travaillé de 6:00 à 7:30, heure à laquelle je dois me préparer pour aller au boulot. Le résultat, c'est 28 chansons, beaucoup de dessins des enregistreurs à bande et chaque jour une photo de l'installation et du ciel neigeux de janvier visible de ma fenêtre."
Morning Music est composé de quatre CDs, chacun correspondant à une semaine de travail. Au total, près de deux heures de musique que nous offre le fondateur du label
Cotton Goods. Grâce à un rythme de travail soutenu mais aussi une solide expérience de production. Car si
Morning Music est seulement le second album signé sous le pseudonyme de
The Humble Bee, Tattersall a un passé discographique qui remonte à 1998. A la fois des travaux sous son vrai nom et d'autres au sein de diverses collaborations. Si 90 minutes paraissent incroyablement peu pour composer et enregistrer une pièce, ce l'est sûrement moins pour un compositeur expérimenté comme lui, qui plus est dans un genre relativement peu exigent en terme de production.
Dès lors que l'on parle de tape recording, il paraît difficile de ne pas faire le lien avec d'autres artistes qui évoluent dans le même délire tant les traits caractéristiques de cette musique se partagent d'un producteur à l'autre. Je pense par exemple à
Relmic Statute – dont le premier album fut d'ailleurs signé par Tattersall – ou encore à
1900, avec qui un titre comme celui du 18 janvier sur
Morning Music possède de nombreuses similitudes. Sûrement d'autres encore pourraient s'ajouter à la liste. Ces deux heures de musique laissent le temps à Craig Tattersall de balayer le genre d'un bout à l'autre, des limites du field recording aux clichés extirpés de quelque vieux disque énigmatique jusque là plongé dans une douce torpeur. Des plages ambient synthétiques aux pièces fragiles de piano. Toujours, ce souffle chaleureux qui embaume les compositions, ces crépitements qui rongent aléatoirement les enregistrements. C'est après tout ce qui fait le charme du genre et le leitmotiv de ses adeptes vénérant un âge d'or analogique.
Le rapport qu'entretient Craig Tattersall avec la musique est remarquable à la fois pour le matériel sonore utilisé ; pour la façon de s'imposer des règles de composition faisant de son œuvre une véritable performance ; mais aussi, en aval, pour le mode de distribution choisi. C'est quelque chose que l'on voit de plus en plus fréquemment dans les secteurs aussi confidentiels que le sien. Il existe cent copies seulement du disque. Chaque pochette est faite main, chaque disque est unique.
Si nos réveils changent d'un jour à l'autre, certains plus durs que d'autres, plus doux, plus énervés, maussades ou gais, les réveils créatifs de Craig Tattersall gardent une certaine constance. On les imagine paisibles mais encore engourdis par le sommeil. Il y a une certaine poésie qui émane de ces instantanés. Celle des sens qui s'éveillent, des premières idées simples qui commencent à germer, de la vie qui éclot chaque jour pour entamer un nouveau cycle. En s'imposant le réveil comme condition de production, Tattersall n'en a pas donné les stéréotypes du matin auxquels on pourrait s'attendre, mais une expérience sensorielle à part entière.
Chroniqué par
Tehanor
le 10/01/2011