Depuis son aventure avec
Roxy Music au début des années 70,
Brian Eno est resté et reste un personnage inclassable dans l'espace des musiques actuelles. Producteur renommé dans l'univers de la pop (
David Bowie,
U2,
Coldplay), il développe dans son propre parcours un territoire sonore très différent, territoire pourtant protéiforme. Depuis 2009, sa collaboration avec le label
Warp, dont l'esthétique lui doit beaucoup, lui a permis de revenir à ses premiers amour et de signer deux albums très loin des sentiers battus de la pop :
Small Craft Of A Milk Sea partagé avec
Leo Abrahams et
Jon Hopkins puis le dyptique
Drums Between The Bells et
Panic Of Looking avec le poète
Rick Holland. Avec
Lux, son premier album solo depuis 2005, le génie britannique renoue pour de bon avec l'inspiration de l'œuvre fondatrice qu'est
Music For Airports. Cet orfèvre de la musique moderne a construit un album des plus épurés et s'intégrant parfaitement à son projet « Music For Thinking », autre nom de l'ambient, style musical qu'il a lui-même initié, même si l'écoute distraite, comme musique « de fond », est selon lui tout aussi « vraie » que l'écoute réflexive.
En une heure quinze,
Lux se fraie un chemin autour de quatre morceaux-mouvements qui n'en font finalement qu'un seul. Difficile de restituer par écrit cette expérience musicale car sans doute fait-elle partie des rares pour lesquelles se confirme l'affirmation wagnerienne : « La musique commence là où finit le pouvoir des mots. ». En effet, beaucoup de musiques, malgré leur intention initiale, sont très proches d'une parole simplement plus rythmée. Sans doute parce que leur mélodie détermine à l'avance les sens possibles que l'auditeur pourra lui donner.
Rien de tel dans
Lux, sans doute car cette musique aérienne redonne toute sa densité à chaque son et cela paradoxalement par l'usage des silences, des micro-variations qui simulent la répétition. Mais, en réalité, il n'y a jamais de silences dans ces soixante-quinze minutes de musique. Chaque son n'en finit pas de s'éteindre, créant ainsi des nappes sonores sur lesquelles peuvent émerger les nouvelles notes. Loin de toute mélodie, c'est la note elle-même de sa naissance à sa mort qui s'agit de suivre. Oui,
Lux est une belle musique d'ambiance, dans le sens le plus noble du terme. Une musique qui peut nous accompagner durant nos activités, qu'on peut négliger, et sur laquelle on peut revenir ponctuellement pour suivre la vie de quelques unes de ces notes, ces astres sonores trop vite disparus. Oui, une belle musique pour penser, mais aussi pour penser la place de la musique dans notre quotidien.
Chroniqué par
Patrice Vibert
le 28/12/2012