Découvert avec le EP,
The Curse of the longest Day,
31 Knots avait séduit par une approche de la chanson à la fois complexe et efficace. Leur musique sonnait si juste que l’on n’avait pu s’empêcher de nourrir de grands espoirs concernant leur avenir. Un an plus tard,
Talk like Blood surprend. Rien n’est linéaire, rien n’est simple, rien n’est mesuré. On aurait dû s’y attendre, pourtant. Mais, il faut croire que la “recette”
31 knots marche à chaque fois, déroutante, forcément déroutante.
Mélodie samplée en guise d’introduction qui devient prétexte à une chanson,
City of Dust est une étrange ritournelle, intéressante en elle-même, mais peut-être la pire manière d’introduire l’album tant les autres titres en diffèrent. À commencer par
Hearsay, titre beaucoup plus direct qui, malgré sa légèreté inaugurale, s’achève dans l’image d’un cataclysme, puissance apprivoisée que relaiera sans hésitation
Thousand Wars au cours duquel le trio basse/guitare/batterie ne se retient pas, mais déploie toute sa force de cohésion, véritable force de frappe rock.
Il y a quelque chose d’insaisissable dans ces dix titres : une impression qu’ils ne tiendront pas la distance, qu’ils vont s’écrouler sous le poids de leur construction, de leur propre contradiction. C’est que s’impose un authentique songwriting, une approche du tissage chant/musique qui dérange forcément parce qu’on n’y est pas accoutumé.
Chain Reaction, avec son refrain impeccable, aurait ainsi pu être un tube de plus. Il n’en est rien : un peu à la manière de
Neil Young abandonnant
Alabama au moment même où l’auditeur en demande encore et encore,
31 Knots opte pour la complexité, une direction plus subtile que la reprise ad nauseam du duo couplet/refrain.
Les “chansons” de
31 Knots rappellent ainsi les chansons traditionnelles, mais comme des êtres lointains que l’on se serait approprié pour les dépasser, les libérer des contraintes qui leur sont inhérentes pour s’orienter vers une musique plus libre, peut-être plus difficile à accomplir, c’est certain (tous les titres de
Talk like Blood ne sont pas des chefs-d’œuvres :
A Void Employs A Kiss, malgré d’excellentes idées et des passages intéressants a cependant un goût d’inachevé).
Toutefois, l’espèce de cabaret disco-punk que constitue
Proxy and Dominion ou encore la construction sur fond de répétitivité et de progression de
Talk Like Blood font oublier ces passages à vide. Si ce dernier donne son nom à l’album, c’est à n’en point douter parce que sa composition est représentative du style de
31 Knots : des chansons rock, certes, mais des chansons qui ne se satisfont jamais d’une forme pré-établie, des chansons qui cherchent constamment à inventer de nouvelles formes. La démarche est risquée et peut conduire à l’échec. C’est aussi une condition nécessaire à la formation d’un style. Et, on ne saurait trop louer les groupes qui, aujourd’hui, savent encore prendre des risques.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 28/12/2005