Le cerveau de
Luis Vasquez est un endroit sur lequel le soleil de la bay area ne se lève jamais. Aux collines célestes et ouatées de San Francisco, le natif d'Oakland a préféré très tôt le gaz méphitique des caves éclairées aux néons où de vieux transistors faisaient crépiter inlassablement les hymnes hallucinés de
Bauhaus,
Joy Division ou
The Cure. Rien à faire que ses camarades se shootent aux champi au son du
Grateful Dead sous un soleil de plomb,
Vasquez est un étranger chez lui. Victime d'une erreur karmique - allez savoir ? C'est dans la banlieue de Sheffield qu'il aurait dû voir le jour, entre des murs de briques recouverts de suie et de slogans marxistes.
Je laisse le soin à Mireille Dumas de nous dire si l'appétence contre-nature de
Vasquez pour la cold-wave demeure le drame fondateur de sa petite enfance, lui qui se définit volontiers comme "le bâtard" du garage rock et des messes psychédéliques de la tourbillonnante Frisco. La vérité clinique en terme de post-punk, c'est que c'est dans les cortex les plus névrotiques qu'on fait les meilleurs tambouilles. La preuve c'est que notre jeune outsider est à la tête depuis la fin de la dernière décennie d'un des groupes les plus impurs et sulfureux du revival post-punk, j'ai nommé
The Soft Moon. Une machine à distribuer de l'angoisse et des sursauts d'adrénaline à la vitesse du son et où il est sans cesse question de distorsions corporelles et supersoniques, de claustrophobie et de visions horrifiques.
The Soft Moon devenu trio produit ses premiers méfaits sur le label
Captured Tracks, entre les disques de
Blank Dogs,
Wild Nothing et
Veronica Falls. Suite à une poignée d'Ep, le premier long-format éponyme de
The Soft Moon paraît dans le courant de l'année 2010 et crache son rock épileptique comme un réacteur de Mig, ses traînées de flamme.
Luis Vasquez en docteur Frankenstein orchestre la résurrection de la cold-wave avec une ardeur démoniaque, envoyant dans le corps mort de la bête des décharges électriques d'une intensité inédite.
The Soft Moon impose
Vasquez comme le "Prométhée moderne" du revival post-punk, plus intransigeant avec la tradition qu'
A Place To Bury Strangers, plus pointilliste et absolutiste que le dernier
Belong et autres
The Horrors. Sa lubie et son perfectionnisme hystérique accouche d'une première oeuvre vitaliste et implacable, qui retourne les codes de l'hommage contre lui-même, détourne les lois du revival sur le chemin de la transcendance de la tradition.
La question du deuxième album, d'habitude traitée avec complaisance, se pose ici de manière essentielle : pourquoi envisager une suite quand tout a été dit et, semble-t-il, d'une manière aussi définitive ? Suffit-il de suivre à la ligne la seule loi de la surenchère pour surpasser une première oeuvre aussi tonitruante que
The Soft Moon ? En refusant de dévier d'un micro-sillon de la droite ligne tracée par son prédécesseur,
Luis Vasquez atteint sur
Zeros, et de manière évidente, les limites physiques de sa musique. Mais dans son inclinaison mono-maniaque et quasi pathologique à poursuivre avec acharnement le fantôme du
Pornography des
Cure,
Vasquez parvient de nouveau à convaincre l'auditeur de la pertinence de sa folle entreprise.
Zeros est une nouvelle poudrière, une cargaison de dynamite fichée dans le cœur de la cold-wave. A chaque instant, les descentes de cordes complètement distordues des synthés arrachent des frissons d'inconfort, les boîtes à rythmes battent à des tempi complètement fous, alors que des montagnes de reverb font planer la voix du dévot
Luis Vasquez comme une menace indicible sur les riffs de guitare ascensionnels et les lignes de basse grattées à l'os.
Vasquez ne laissera pas un pouce de terrain à la pop, pas plus qu'il ne se laissera faiblir un seul instant. Le regard fixé droit au fond du précipice, l'Américain continue de tracer son sillon enflammé en cramant son énergie par tonnes de kérosène.
Dès l'ouverture,
Zeros déploie le maximum de ses capacités, tous muscles bandés, pour emporter l'auditeur dans un tumulte ininterrompu. S'il passe pour un magma compact, des écoutes répétées font apparaître la diversité de sa composition. Certains titres à l'image de
Machines, mais encore plus
Insides, rappellent immédiatement les
Cure période 1981-1982 et emportent l'adhésion avec facilité. D'autres distordent la musique du groupe de
Robert Smith jusqu'à la transformer en spectre brinquebalant voir dégénéré: c'est le cas de
Zeros et son final hautement inflammable, des mécaniques et infernaux
Crush et
Die Life ou encore du glaçant
Lost Years. Le titre le plus remarquable d'entre tous ?
Want, une cavalcade diabolique et tribale qui lorgne dangereusement vers la transe bestiale et primitive. Un final particulièrement brillant mais aussi éprouvant, catharsis nécessaire pour clore ce
Zeros qui traverse le cerveau comme une comète perfore l'atmosphère avant de se désintégrer dans un bucher céleste.