Minus Degrees, Bare Feet, Tickles. Une bête mécanique qui vocifère depuis des enfers industriels et une certitude, celle de pénétrer dans un album extrême. En gardien des lieux ou plutôt en Cerbère,
Mika Vainio trouve un rôle qui lui sied à merveille. Derrière ses machines, l'ex-
Pan Sonic fait souffler un blizzard poisseux sur les premières minutes de cet album séminal du
Vladislav Delay Quartet et ça vous glace le sang. Aux commandes on trouve un autre finlandais. Bien sûr il s’agit du maître d’œuvre,
Sasu Ripatti (
Vladislav Delay donc), et pour le coup c'est seulement à mi-parcours de cette tonitruante introduction que l'on peut entendre ses claquements de cymbales, d'abord étouffés puis de plus en pressants.
Sur
Santa Teresa puis
Des Abends, il trouve à jouer pleinement son rôle de leader et il ne le fait pas au profit de son habituel ambient-dub. Ses tambourinages sur pièces de quincaillerie dessinent bien plus une descente dans des cavités oppressantes qu’un trip extatique à l’air libre d'une vaste cité urbaine. Pour installer cette ambiance de claustration, il peut compter sur la contrebasse du canadien
Derek Shirley, second couteau attentif et appliqué mais plus encore sur les borborygmes suraigus de l'argentin
Lucio Capece, dont les interventions au saxophone ou à la clarinette rehaussent la tension déjà bien présente ailleurs en son absence.
Voici donc posées les forces en présence: tour à tour individualités bien marquées ou co-architectes d'édifices sonores maximalistes. Les desseins du Quartet prennent ainsi de multiples formes selon qu'ils empruntent aux musiques improvisées, industrielles, noise ou électro-acoustiques, liste non-exhaustive en forme de bestiaire. Le plus souvent toutefois, le
Vladislav Delay Quartet explore des souterrains industriels suffocants dans un calme tout relatif, empruntant tunnels, puits et galeries exiguës, allant toujours plus profondément. Pas une pièce qui ne soit d'une précision implacable, comme une machinerie savamment mis en branle pour enserrer l'auditeur dans des griffes d'aciers, proie médusée sur place qui attend le coup fatal.
La proie amadouée, il ne reste plus au quartet qu'à mener à son terme la séance de mise à mort. Et le rite s'accomplit dans une violence des plus sophistiquées. Sur
Luhous par exemple où
Ripatti,
Shirley et le saxophone bidouillé de
Capece se lancent à l'assaut d'une forteresse imprenable dans une clameur assourdissante. 10 minutes absolument éreintantes où les trois musiciens en première ligne se livrent à un pilonnage de percussions et de beuglements harassants sur des basses colossales.
Voici résumé là comme ailleurs (impressionnante
Killing The Water Bed) l'art majeur du quartet: celui d'ordonner le chaos, de le façonner à sa volonté, avec énergie et force inventivité. Aussi ce jazz bâtard, friand d'expérimentations et de détours imprévisibles, n'est jamais exécuté dans un froid détachement ni dans la débauche d'effet. Ses auteurs sont vraiment de fins ouvriers.