Nouvel album pour
PJ Harvey. Une bonne et une mauvaise nouvelle.
La bonne c’est que la chanteuse originaire du Dorset arrive encore à se renouveler en proposant un OVNI musical qui figure parmi les titres les plus marquants de la discographie de l’artiste.
La mauvaise, c’est qu’on nous a servi du
PJ Harvey trois fois par jour depuis ce début d’année 2011. On se serait cru dans la scène du film
Dans la peau de John Malkovich, où tous les protagonistes du film ont le visage de John Malkovich.
On ne va pas se plaindre. Entendre parler d’une artiste qu’on adore, qu’on soutient, cela donne de la fierté. On est content pour elle. On se dit que c’est mérité et que c’est mieux ainsi… Le problème c’est qu’à force de trop en faire au niveau de la communication, des partenariats en tout genre, des couvertures de magazines, des concerts privés, des avant-premières et autres captations exclusives sur le net ou à la TV, on finit par complètement saturer. Un procédé qui condamne ce disque à l’écoute instantanée. Résultat, l’album est à peine sorti qu’on ne cesse de devoir répondre à la même question : « Alors tu as aimé le nouveau PJ Harvey ? ». Il y a là un réel paradoxe dans cette histoire. On nous demande d’évaluer un album aussi aventureux en une, voire deux écoutes. Face au culte de l’instantané, on se demande s’il est désormais opportun d’en faire la chronique un mois après la sortie. Un comble, car passée la dizaine d’écoutes (oui il faut au moins ça, car souvenez-vous qu’il vous a fallu un vingtaine d’écoutes pour aimer
Sonic Youth ou
Bardo Pond, une dizaine pour le
Rock Bottom de
Robert Wyatt et
Loveless de
MBV), on apprécie chaque seconde, chaque moment de cet album. Et finalement, on en est que plus heureux d’en faire la chronique, une fois passée la tempête médiatique.
Bientôt vingt ans de carrière, une erreur (artistique) de parcours (
Story From The City, Story From The Sea), une baisse de régime (artistique) (
Uh Hu Her) et six albums incroyables :
Dry, Ride Of Me, To Bring you my love, Is this Desire ?, White Chalk et maintenant
Let England Shake,
PJ Harvey arrive à surprendre encore. Effectivement, on sort complètement des brûlots abrasifs que sont
Dry et
Ride of Me, mais faire référence à ces œuvres passées ne traduit- il pas une vision franchement nostalgique voire conservatrice ? Un peu… D’autant plus que la chanteuse a tourné la page en 1995… Avec ce nouvel album, elle explore d’avantage le registre d’une pop bricolée, voire bancale, marquée par des textes sombres. Une démarche schizophrénique dans la mesure où la musique n’a jamais sonné aussi
pop tout en véhiculant une part d’étrangeté et de malaise (
On Battleship Hill, Let England Shake, The Last living Rose).
Let England Shake propose une sorte de synthèse entre l’atmosphère datée (la voix de tête en prime) de
White Chalk, l’ambiance pesante et vénéneuse de
Too Bring You My Love et la résonance des sons, la légèreté feinte et le goût de l’expérimentation d’
Is This Desire ? .
A ce titre, on est d’autant plus frappé par l’utilisation des
samples sur cet album. Notamment parce qu’il s’agit d’une première, mais aussi parce que cela paraissait totalement inconcevable dans l’œuvre d’un artiste qui a débuté en faisant du rock alternatif dopé par
Steve Albini. Mais ce qui surprend d’autant plus, c’est l’utilisation qui en est faite. Ils ne sont pas complètement insérés dans le rythme et la tonalité des musiques. Leur rôle n’est pas de faire joli mais de se confronter à la musique, de la déranger (
The Glorious Land) de l’invectiver (
England, Written On The Forehead). La fonction est celle d’une mise en scène et non pas d’une ornementation musicale. C’est notamment parce qu’elle intervient dans le discours et non dans la seule musique.
Après deux albums de séparation avec son producteur
John Parish, bizarrement les moins réussis, la complicité artistique entre ces deux là ne cesse de se resserrer. Déjà parce que la pochette de
Let England Shake a été réalisée par Michelle Henning la compagne du producteur, mais aussi parce que ce dernier donne de la voix à de nombreuses reprises sur un album estampillé
PJ Harvey :
On Battleship Hill, Hanging In The Wire, le magnifique (et sensuel)
In the Dark Places et sur le titre final chanté exclusivement par l’éminence grise de la brune du Dorset.
Avec cet album,
PJ Harvey livre son album le plus complexe, le plus ambigu. Un excellent album pour celui, qui à l’image de la chanteuse, entreprend de ne pas regarder en arrière et de ne pas perdre patience…