En 2001, l'artiste russe
Ivan Pavlov (plus connu sous le patronyme de
Coh) dédiait très modestement un album aux fans de heavy metal du monde entier. Cet album s'appelait
Iron et envoyait déjà les sonorités des guitares électriques s'éclater contre un mur de manipulations électroniques. Dix ans plus tard, les Autrichiens d'
Editions Mego publient la suite de cet opus séminal:
Iiron, deuxième du nom.
L'album s’ouvre comme un opéra soviétique, sur une célébration guerrière et grandiloquente de la place rouge de Moscou. Mais l’emblème est malmené, écorché qu’il est par des riffs de guitares tranchants et des sonorités synthétiques rétro-futuristes. Comme les premières minutes d’un film font office de programme esthétique,
Red Square puis la puissante
War End War dessine à grand trait l’atmosphère faussement surannée d’
Iiron d’où se dégagent d’étranges relents de guerre froide et de heavy metal, forcément.
Ces premières minutes taillées à la hache nous rappellent que le Russe est un artiste bien plus difficile à cerner qu’on pourrait le penser même si ses travaux s’inscrivent en plein dans la musique de laptop aujourd’hui très en vue. Les résidents du label
Raster-Noton en ont écrit le manifeste dès la fin des années 1990, prônant une musique architecturale et minimale faite de micro-sons parasitaires et de rythmes complexes.
De la Suède, où il a élu résidence,
Pavlov a pris part très tôt au mouvement, mais il n’a jamais réellement suivi l’exemple de ses pairs (
Alva Noto et consort), préférant tracer son chemin en jouant d'écarts de répertoire audacieux. Voilà pourquoi son univers musical, empreint d’une solennité toute orthodoxe autant que d'un cynisme ravageur n’appartient qu’à lui et qu’il est toujours si perturbant d’y pénétrer.
Sur
Iiron, ce sentiment de décalage est une nouvelle fois de mise car
Pavlov se tourne vers le passé pour mieux projeter sa musique de télescopage stylistique dans l'avenir. En effet, beaucoup de la matière de ce nouvel opus provient de vieux enregistrements réalisés par l'artiste du temps de l'Union Soviétique. A cette époque, il tenait la guitare dans un groupe de métal, et cette musique débauchée venue d'occident s'était tout naturellement attirée les foudres de la censure. L'apport de cette matière rêche est essentielle: elle amène
Pavlov à revivre cette ambiance surréaliste de pré-apocalypse politique qui fut celle de la Perestroïka, où l'excitation angoissée de quelque libertés retrouvées se disputait à un pessimisme hystérique.
C'est typiquement le genre d'atmosphère pleine de nervosité dans laquelle
Iiron plonge l'auditeur à force de morceau de bravoure.
Soii Noir par exemple joue sur une tension malicieuse au fil d'une progression cahoteuse où des sonorités vintages de jeu vidéo opposent une résistance farouche aux sons destructeurs des guitares électriques. Quant aux mystérieuses
Slowup (Quadrate fur Jah) et
Fist Of Glory, elles forment l'iconoclaste bande son d'un western slave, un pastiche violemment dégénéré des scores d'
Ennio Morricone.
C'est à mille lieux de l'URSS de Gorbatchev que
Ivan Pavlov a assemblé ces riffs anciens et parfois nouveaux en séquences électroniques cinématiques, à savoir en Angleterre, au centre de recherche musicale de l’Université de York. Mais les souvenirs sont vivaces, les émotions qui leurs sont rattachées aussi. Pour preuve cet
Iiron détonnant dans la carrière du Russe, où un passé sous haute surveillance policière ressurgit de vieilles bandes magnétiques.