Quand on commence un disque comme ça, avec autant de force, de conviction, avec même une franche envie de délirer, au sens propre du terme, et de trouer la peau de sa caisse claire, de griller les lampes de ses amplificateurs, de briser ses cymbales en morceaux, et de casser net ses cordes, il y a de forte chance que l'apocalypse soit à la clef (
Ikani Kyoudai na Seishin ya Chikara to Iedomo Chisei Nakushi te wa 'Mu' ni Hitoshii). Pas au sens de l'histoire, mais de la musique. Une saine apocalypse, une de celle que l'on voudrait entendre tous les jours en se réveillant. Quand elle vient du pays du soleil levant — régalons-nous des clichés — on se dit, en outre, qu'il n'y a pas peut-être pas de quoi s'étonner d'un tel désir. Pour ceux qui ont suivi
Té depuis leur
premier album, guettant avec impatience leur nouvel EP qui changera la face de leur post-rock tendance emo courageusement assumée, ce nouvel album ne suprendra pas. Non, il continuera simplement de plaire. Que dis-je ! Il continuera simplement de les régaler. Car, à l'écoute de
Sore wa, Narihibiku Sekai kara Genjitsuteki na Oto o 'Uta'ou to suru Shikou, on sent que là où nombre de leurs contemporains se plantent — à commencer par
65daysofstatic, dont on n'aura même pas pris la peine de critiquer le dernier disque — pour ne pas dire tous —
Té sait déjouer tous les pièges dans lequel le style de leur musique risquerait de les faire tomber. Pour ceux qui connaissent qui connaissent
Té, encore une fois, rien de nouveau sous ce soleil toujours levant et toujours aussi brillant. Mais, c'est aux autres qu'il faut parler. C'est aux autres qu'il faut faire entendre cette musique. C'est aux autres qu'il faut faire entendre ce son si singulier. À la fois énergique, mélodique, toujours en rupture avec le rythme. Ce son qui ne recule devant rien, qui ne refuse aucune influence (sous prétexte, par exemple, qu'elle ne serait pas dans l'air du temps), mais qui les accepte toutes, les digère et les rend avec une ferveur hors du commun. À ceux-là, on dira d'écouter
Ashita o Mottomo Hitsuyou to Shinai mono ga, Mottomo Kokoroyoku Ashita ni Tachi'mu'kau parce que sa mélodie ne pourra pas manquer de résonner en eux et qu'ils sentiront à quel point le quartet ne se résout jamais à la simple exposition / répétition / rumination de ce qu'il propose, mais qu'au contraire, s'il joue bien sur l'entêtement, il y a à chaque passage quelque chose qui varie, change, transforme et étonne. C'est une rythmique. C'est une légère variation. C'est quelque chose de simple, toujours, mais quelque chose d'original, aussi souvent. Dans un autre registre, ils verront avec
Setsudo to Seigi wa, tada Yuusha no miga Katteni Riyou shiuru 'Meimoku' dearu comment un riff, s'il sert de motif, ne saurait satisfaire. Exposé, il est rompu — une autre idée lui succède. Exposée, celle-ci est chassée par le riff précédent, repris de manière plus puissante. Repris, il est oublié au profit de ce qui s'avère être une transition vers le motif de départ, mais plus léger. Et ainsi de suite. On leur parlera encore de
Kokoro wa Tadashii Mokuhyou o Kaite shimau to Itsuwari no Houkou ni hake Kuchi o 'Tsuku'ru qui, à partir d'une idée franchement groovy, se développe à force de superpositions de riffs, accords lâchés, delays courts ou bien inversés, phases bruitistes, silences, effets sur la batterie et autres idées sonores dont la liste est trop longue à dresser. Et puis, la quasi-pop de
Nanra no Kurushimi ni mo awazushite, Nanijin o mo Koufuku to wa 'Yo'bu na kare, comme une sorte de
U2 dévergondé pour le meilleur, le glamour en moins, mais les idées en plus, sans voix et, du coup, évacué le parasite, avec une force de frappe finale incomparable. Ce sont tous ces mouvements, qui sont sans doute à prendre moins au sens musical qu'au sens physique du terme, ces bougés, aimerait-on dire, presque, qui font de la musique de
Té une forme unique. Non pas une forme d'une exceptionnelle complexité, mais une forme qui s'avère, disque après disque, d'une surprenante justesse.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 18/10/2007