This is your captain speaking, c'est le moins que l'on puisse dire, est un groupe ambitieux. Ambitieux, comme pouvait l'être Guillaume d'Ockham (*) : par la force de son minimalisme.
Ici, un trio [quartet, tout au plus, sur
Weathered] pour plus d'une heure de musique, construisant imperturbablement à partir de phrases minimales des fresques qui s'étirent comme à l'infini. Encore plus ambitieux puisque ce
Storyboard commence par sa période la plus longue, soit 18 minutes (
Gathering pieces). Manière de décourager l'auditeur distrait, pressé, l'auditeur qui veut aller à l'essentiel tout de suite et qui oublie peut-être que l'essentiel n'est pas nécessairement dans la jouissance immédiate et que la jouissance, pour se produire, demande qu'on lui accorde du temps. Peut-être. Ou bien manière de planter d'emblée le décor, manière d'être honnête et de viser tout de suite la cible la plus difficle à atteindre.
Difficile — si ce n'est impossible ; limitation toute personnelle et peut-être temporaire de l'auditeur que je suis — aussi d'embrasser ce disque, de le cerner totalement car, il faudrait à la fois être dans chacun de ces instants et l'écouter comme du dehors, ce qui reviendrait en somme à le vivre et à chercher à le décrire, simultanément. Ce qui fait aussi la beauté de la chose (le disque et son écoute), comme si le groupe avait voulu que l'auditeur soit le réalisateur de son
Storyboard.
D'où, finalement, la déception à laquelle peut donner lieu
Angels qui, après l'invention de la machine à écrire comme instrument de musique, s'achève sur des effets trop convenus. Déception à la hauteur des ambitions du disque et qui fait s'écrier que l'on n'a pas le droit de rater ainsi le final d'un disque qui avait fait tant de promesses. 2 minutes sur 106, répliquera-t-on, ce n'est rien. C'est bien peu, assurément. Mais, c'est tout, aussi. Tout ce qui fait la différence entre un bon disque et le chef-d'œuvre qu'il aurait pu être, que dis-je, qu'il aurait dû être.
(*) Guillaume d'Ockham, Summa totius logicae, I, 12, c. 1325 : "Frustra fit per plura quod potest fieri per pauciora [C'est en vain que l'on fait avec plusieurs ce que l'on peut faire avec un petit nombre]".
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 07/02/2007