Le pianiste russe
Simon Nabatov s’est fait spécialiste de l’évocation en musique d’œuvres littéraires signées de compatriotes chronologiquement éloignés. Après avoir dédié des enregistrements aux poèmes de Joseph Brodsky et au roman « Le maître et Marguerite » de Mikhaïl Boulgakov, c’est au tour du travail de Daniil Kharms, écrivain de la première moitié du 20eme siècle proche de l’esthétique futuriste, de se voir célébré.
Enregistré en octette,
A Few Incidences profite des particularités diverses des musiciens choisis. Le collage assemble ainsi les constructions électroniques de
Cor Fuhler et l’élaboration d’un nouveau langage auquel s’attache le chanteur
Phil Minton, écrasant des onomatopées sur le saxophone d’un
Frank Gratowski à l’affût des directions prises par l’entier groupe (
And That’s All). Les accents sombres d’un duo trombone / contrebasse ouvrent ensuite
Kalindov, récité bientôt par
Minton, qui établit cette fois un parallèle troublant avec l’
Ursonate de
Schwitters, sur lequel le piano pose un soupçon d’âme russe.
La lecture, toujours, mais plus loin : dans la bouche de
Minton, sur le rythme rapide et théâtral imposé par
Nabatov (
The Plummeting Old Women), ou défendue dans un Russe original, sur
Ivan Ivanych Samovar, poème pour enfant tailladé par les décisions électroniques de
Fuhler. Celles-ci s’opposeront parfois élégamment à l’acoustique prépondérante de l’ensemble, sur une valse extra-terrestre révélant le charme qu’elle trouve à la pop symphonique (
The Start of a Very Nice Summer’s Day) ou le développement d’une cantate folle (
An Encounter).
Au final, l’hétérodoxie russe entraîne dans ses méandres un lyrisme emporté, une rengaine des bas-fonds (
The Red-Haired Man), des combinaisons expérimentales truculentes, et même un peu d’ennui, transformé bientôt en mélancolie sourde (
On Equilibrium). Ménageant toujours le feu et la glace,
A Few Incidences serait une symphonie militaire fredonnée par Bakounine.
Chroniqué par
Grisli
le 02/01/2006