Curieux projet que cet
Album formerly known as... du maître
Carl Craig. Ces
versions sont en fait autant de ré-edits, tout juste augmentés d'un inédit pas anecdotique (
Sparkle) des morceaux de l'album
Landcruising, sorti en 1995 sous une cover à la typographie façon K-2000, qui en annonce assez bien le mélange de techno-positivisme et d'esprit nostalgique.
Moins flamboyante ici que sur
More songs about food, music and revolutionary art, la musique reste immédiatement identifiable à
Carl Craig. Cet
Album formerly known as... accentue peut-être le caractère imaginal de
Landcruising, superbe disque d'une musique narrative et illustrative, archétype d'une techno fondamentale. Inspirés de divagations nocturnes autour de thématiques futuristes, ces tracks accompagnent un univers de la nuit, de la ville, de la machine et de leurs flux dans un style visionnaire, à la fois lyrique sans tomber dans la surcharge dégoulinante, élégant sans faire montre d'une sophistication excessive, donc d'une idéale justesse, de celle qui invente un classicisme moderne sans s'en soucier l'espace d'une demi-croche. Avec une économie de moyens sidérante, ces élucubrations saisissent par leur apparente spontanéité à réaliser la jonction entre
Giorgio Moroder et de volatiles influences funk alien ou jazz cosmique.
Les boîtes à rythme primitives (inaltérable parfum des synthdrums 80's !), les guitares électriques échappées et noyées de reverb, les moteurs en arrière-plan disparaissent ici du magnifique générique
Science-Fiction, ramené de huit à un peu plus de cinq minutes pour insister sur le pitch-stretching et les nappes, et offrir un break tout en syncope électro old school. Les synthétiseurs sont omniprésents, sous la forme de mélodies dramatisantes, d'accords répétés à l'envi pour créer des effets rythmiques radicaux. Des entrechocs sauvages, physiques, presque tribaux, constitutifs de la dynamique funk propre à Detroit (
They Were), alternent, dans un agréable équilibre de températures, avec les impressions atmosphériques crées par des sonorités irradiantes, parcimonieusement traversées par des comètes à hautes fréquences (
Technology).
Mind of machine est peu altéré dans ses tonalités nostalgiques et suggestives ;
One Day Soon commence désormais sur des sinusoïdes recroquevillées et grouillantes qui s'effacent progressivement pour que les cordes synthétiques déploient leur subtile mélancolie. Ce final élégiaque à la place des simples jeux de pitch de la version de
Landcruising, ainsi que la durée plus longue, laissent penser que c'est la réelle version originale qui nous est ici proposée, et que c'est la version déjà présente sur
Landcruising qui constituait le véritable "edit". Sur l'ensemble de ce disque, les durées des titres restent d'ailleurs généralement plus élevées que sur l'album
Landcrusing.
Le morceau
Landcruising semble très légèrement regonflé.
Einbahn aussi parait à peine plus direct, moins évasif, mais ce sont sans doute des détails d'ingénierie du son. On est en droit de préférer la discrétion du premier
A wonderful life, un titre simple et beau de toute façon, à sa nouvelle mouture ici présente, où des chœurs synthétiques s'ajoutent en surlignage.
Sparkle est un inédit ; plus léger dans la mélodie, appuyé sur des percussions, il termine dans des entrecroisements sensibles que n'aurait pas renié
As One. Le "max dub" de
Technology l'alanguit et lui fait gagner un peu de profondeur de champ (
Technoloambient), tandis que le "maya dub" de
Home entertainment, jouant ad libitum sur les répétitions des accords principaux, est plus dispensable.
Publié pas loin de la sortie d'un mix du même
Carl Craig pour la série Fabric, cet
Album formerly known as... nous ramène à ses indéniables qualités de producteur. Est-ce qu'il n'aurait pourtant pas mieux valu rééditer l'album
Landcruising, déjà impeccable, plutôt que de prendre le risque, sinon nécessairement d'en altérer la force, au moins de faire doublon sans réelle valeur ajoutée ? On préfère ne pas penser qu'une d'obscure histoire de contrat aura contraint le musicien à mettre en place ce projet un peu bâtard, il faut l'avouer. Quoique souvent plus longues, ces versions alternatives proposent peu de changements décisifs et susciteront surtout l'intérêt des trainspotters et autres aficionados avertis.
Chroniqué par
Guillaume
le 12/12/2005