"La femme est l’avenir de l’homme" écrivait Aragon. Soit. Chacun aura son avis sur la question. Il est permis par contre de réactualiser la citation. Avec leur troisième album
Axes, les quatre Anglaises d’
Electrelane donnent en effet furieusement envie de clamer que la femme est l’avenir du rock!
Après un
Power Out très bien accueilli par la critique en 2004, il aurait été facile pour le quatuor de Brighton de capitaliser sur leurs acquis. A savoir une recette miracle pour une pop qui doit autant aux eighties britanniques qu’aux racines no-wave de
Sonic Youth. Une formule aigre-douce, constamment sur le fil entre mélodies sucrées et larsens dévastateurs, prompte à séduire l’oreille avisée. Mais si les premiers titres de
Axes peuvent donner l’impression d’un prolongement réussi de l’album précédent, la suite permet à
Electrelane de se renouveler, réunissant éclectisme revendiqué et spontanéité rock’n’roll.
Après une première poignée de morceaux réussissant parfaitement le mélange entre mélodies affûtées et saturations des guitares, l’instrumental
Eight steps joue le rôle de détonateur. Démarrant sur un accordéon dopé à l’hypertango, ce titre se développe autour d’une rythmique guitare/batterie rugueuse et enlevée, soutenue encore par un violoncelle discret. Un break soudain interrompt pourtant l’unisson, pour laisser la place au seul piano. Puis, dans un crescendo bien amené, guitares et accordéon reprennent le contrôle pour un final ébouriffant, qu’on pourrait qualifier de "klezmerock".
Dès ce morceau de bravoure,
Electrelane déconstruisent leur grammaire pop, pour s’engouffrer dans un mélange maîtrisé entre post-punk, no-wave et musique expérimentale. Laissant deviner le passage d’un train,
Gone darker s’emploie ainsi à esquisser un climat urbain et inquiétant, sur lequel se greffe un saxophone en roue libre. Plus noisy,
Atom’s tomb renvoie aux plus belles heures de
Joy Division, la basse évoquant quelque peu celle mythique de Peter Hook. Nouvelle rupture ensuite avec
Business or otherwise, morceau saccadé et millimétré, renvoyant à certaines compositions de
John Cage. Derrière,
Those pockets are people rebranche les amplis, pour une longue montée post-punk à la noirceur intrinsèque qui fait à nouveau écho à
Joy Division, avant de servir de rampe de lancement à la reprise méconnaissable de
The partisan, chanson française de la résistance, popularisée par
Leonard Cohen en son temps. Après ce fracas allongé, la fin de l’album se dessine sous des auspices plus dépouillés, où
Electrelane s’entourent du
Chicago a capella, entremêlant alors musique chorale, folk lo-fi et easy-listening.
Avec ce troisième album,
Electrelane s’imposent comme l’un des groupes rock les plus captivants du moment. Variant les registres tout en conservant une cohérence certaine – liée à la liberté et à l’énergie qui les personnalisent – ces quatre Anglaises décidément dans le vent parviennent à réconcilier pop et vacarme, à la manière de
Sonic Youth.
Axes donne ainsi souvent l’impression d’avoir été enregistré en une prise ou presque – par les soins du sorcier
Steve Albini – laissant la porte ouverte à l’improvisation. Une belle claque !
Chroniqué par
Christophe
le 05/12/2005