(...) Tortueux, le parcours à suivre. Qui mène jusqu’en Pologne, où l’on a pu récemment entendre les audaces du saxophoniste
Ken Vandermark. Il n’inaugure pourtant pas là sa carrière. Il la poursuit, simplement, à l’abri des couvertures trop médiatiques, comme des amateurs snobs au point de simuler l’aumône. A Cracovie, donc, où
The Vandermark 5 fût programmé six jours de suite au Club Alchemia.
Depuis quelques années, le quintette se fait un plaisir de reprendre des standards du free jazz (sur
Free Jazz Classics, Vol. 1 & 2, notamment), et de défendre les compositions du leader, perles de culture aux influences éclatées. A Cracovie, on ne dérogera pas à la règle ; deux sets programmés par soir permettront l’enregistrement de 12 disques, portrait panoramique des possibilités modernes du jazz d’aujourd’hui. Celles dont s’est toujours montré capable, avec assez d’élégance pour passer inaperçu,
Ken Vandermark, en tout cas. Rassasié à des sources diverses, il a su se construire une identité musicale, faite d’énergie et de rondeur, d’expérimentations et d’efficacité sincère. Partout à la fois sans jamais être un autre que lui-même. Et l’Alchémia, au mois de mars 2004, de changer d’atmosphères au rythme des morceaux à se succéder.
Privilégiant les cadences soutenues en ouverture de set (euphorique sur
Telefon, furieuse sur
Money Done), le quintette ne tarde jamais à surprendre le spectateur. Tente de le semer, même : alignant les free assumés (
Strata,
That Was Know) et les plages lascives (
Outside Ticket,
Camera,
Gyllene), les démarches soul (la basse appuyée de
Kent Kessler aidant, sur
Other Cuts), et le cool jazz poussé un brin (
Both Sides), les thèmes langoureux faits marches lancinantes (
Long Term Fool) et le funk élégant (
Knock Yourself Out).
Un mélange toujours subtil, tirant parti autant du choix du répertoire, que des digressions individuelles : l’archet envoûtant de
Kessler sur
Seven Puls Five, les contre-attaques incisives du trombone de
Jeb Bishop livrées en réponse aux phrases éclairées de
Vandermark et
Dave Rempis (
Auto Topography), ou les ruptures de rythme prononcées du batteur
Tim Daisy, poussant les vents vers d’autres excentricités (
Initials).
Jamais fade, le quintette répète au fil des soirs quelques thèmes originaux appropriés, en laissant rarement poindre la lassitude minime, oubliée bientôt, quand elle a pu être repérée, au son d’une pirouette ingénieuse - patchwork d’expérimentations ludiques ou afro beat minimaliste -, ou de l’interprétation intelligente de standards savamment choisis.
Car
Vandermark sait envers qui il se doit d’être redevable, connaissant bien les rouages d’un jazz d’avant-garde qui le berce depuis longtemps, et les personnages qui ont dû tenir bon pour l’imposer enfin. Les hommages se bousculent alors, le quintette acceptant quand même de faire des choix, pour mieux mettre en valeur quelques figures incontournables du domaine :
Roland Kirk et
Sonny Rollins en tête,
Archie Shepp,
Cecil Taylor ou
Don Cherry.
A suivre
Chroniqué par
Grisli
le 06/10/2005