Un disque de soul et funk (ou encore r'n'b, au sens premier) chez Warp Records !
Ok, le label établi comme référence sur une base electronica nous avait peu à peu habitués à une certaine largeur de champ, en accueillant par exemple le songwriting barré de
Vincent Gallo, avec la création de Lex pour héberger des tendances plus urbaines... La signature récente de
Maximo Park, également, avait pu déstabiliser une audience plus conditionnée à recevoir les tilts abstraits de
Autechre que des riffs pop et rock.
Mais un disque de soul-funk sur Warp Records, quoi !
Avec
Jamie Lidell, à vrai dire, on aurait pu s'en douter. L'homme à une réputation de showman excentrique, et on a pu réperer ses talents de chanteur sur les disques de
Super_Collider (side project qu'il forme avec
Christian Vogel) comme sur le projet jazz le plus classiciste de
Matthew Herbert, en passant par un featuring sur le récent album de
Ark.
Passons donc sur cette surprise, parce qu'en vérité, le naturel du disque invite rapidement à ne plus s'embarrasser d'à priori, pour mieux profiter des chansons.
Le choix d'une instrumentation live, renforcée d'un grain analogique dans l'enregistrement, séduit tout de suite sur
Multiply, qui sert de déclaration d'intention : "Don't ask me why i do that stuff / Think's too far but's never enough". Avec son refrain contagieux, ce titre irresistiblement chaleureux a le profil d'un summer hit. A la suite,
When I come back around joue avec l'élasticité du funk : syncopes, slap basse et riffs de synthés entraînent une dynamique très contemporaine. Sur
A little bit more, Jamie s'appuie sur une loop vocale pour s'expliquer avec une amie, avec un sacré feeling.
Plus slow,
What's the use ? n'en est que plus attachant : "it's a find day / just escape form a bad dream (...) i'm a questionmark / walking, talking questionmark...". Enigmatique mais charismatique,
Jamie Lidell chante
Music will no last en démontrant le contraire du titre, tellement on a envie de le suivre ses modulations soul en claquant des doigts... Il se réinvente dans un fiévreux
Newme, où apparaissent plus de percussions, et des vents.
The City marque une limite d'excentricité, avec beaucoup d'effets sur sa voix, et des passages plus saturés, mais c'est pour mieux revenir dans la mesure avec le piano-voix de
What is it this time ?, concentré sur l'essentiel. Même chose pour
Game for fools. Dans le dépouillement, il ne reste plus que cette voix, son interprétation touchante, d'une classe absolue.
Multiply dépasse largement le pastiche et l'hommage aux monstres afro-américains par sa personnalité, son style, et surtout un groove affolant, celui d'un Anglais blanc au chant assuré, sensible et nuancé. Au-delà donc de toutes préoccupations de crédibilité, ce disque, en multipliant les astuces de production et les bonnes idées discrètes au service des chansons apporte, en plus d'un franc bonheur quotidien, une contradiction aux préjugés sur la génération électronique dont peut souffrir Warp : non, chez Warp, on ne se réfugie pas systématiquement derrière les derniers plugins tapageurs. Ici, la substance des morceaux n'est pas éclipsée par des artefacts technologiques, mais bel et bien mise en valeur par une production rafraîchissante. Ceux qui prétendent qu'aujourd'hui la soul et le funk n'existent plus que dans des influences light et des redites passéistes la retrouveront ici dans une actualité flagrante.
Alors, un disque de soul et funk chez Warp Records ?
Oui, et finalement la meilleure surprise que nous ait réservée le label de
Steve Beckett depuis longtemps.
Chroniqué par
Guillaume
le 02/07/2005