Dans un contexte musical qui semble toujours plus attiré par les fusions en tout genre, il devient difficile de ne pas afficher un sentiment quelque peu dubitatif à l’annonce d’un énième projet interdisciplinaire. Cependant, le casting prestigieux de
High Water, rassemblant des artistes aussi talentueux que
Matthew Shipp,
El-P ou encore
Roy Campbell, transforme rapidement toute tendance à la mauvaise foi en un vent de curiosité des plus intéressés. En effet, en raison de la qualité du travail d’
El-P sur l’album de
Cannibal Ox et du succès de la récente collaboration entre
Matthew Shipp et
Anti Pop Consortium, il y a de quoi être impatient de découvrir ce nouveau volet de la célèbre collection des
Blue Series Continuum.
Tout débute en douceur avec le mélancolique
Please Stay, où de chaudes notes de trompette et de piano se chevauchent pour annoncer le véritable point de départ de
High Water, révélant une orientation musicale plus travaillée. Ultime et précoce preuve du niveau atteint par les six musiciens,
Sunrise Over Bklyn se pose immédiatement comme le moment fort de l’album, en rassemblant les envolées de trompette de
Roy Campbell, le trombone plus grave de
Steve Swell et le sampling inquiétant d’
El-P, le tout sur une base piano/batterie justement réservée. Le résultat se passe de commentaires, et n’est pas sans rappeler les meilleurs passages d’
Everyday, évitant pour autant tout pastiche facile. La suite se fait plus saccadée, rappelant parfois les programmations de batteries de
Funcrusher Plus sur
Get Your Hand Off My Shoulder Pig et surtout sur
Something is Wrong, marqué par le piano déstructuré de
Matthew Sipp. Unique apparition vocale de l’album,
Harry Keys apporte une touche de nostalgie supplémentaire aux longues plaintes de cuivres de
When The Moon Was Blue, constamment rehaussées par les discrets bidouillages d’
El-P, alors que
Please Leave clôt le disque dans un registre plus épuré, rangeant non sans regret les machines du principal artisan au placard.
En dépit de son apparent retrait,
El-P ne cesse ainsi d'enrichir
High Water, en lui insufflant de subtils samples galactiques, et avant tout un sens de la production qui avait déjà fait ses preuves sur
Fantastic Dammage. En effet, l’ancien pilier de
Company Flow fait constamment évoluer la teneur musicale de ses titres, pour la faire retomber dans de dernières notes de velours une fois son paroxysme atteint. Un effort qui se remarque d’autant plus à l’écoute de certains passages plus linéaires, comme le très moyen
Get Modal, qui souffre d’une flagrante absence de profondeur en comparaison avec
Intrigue In the House of India et l’inusable
Sunrise Over Bklyn. Cependant,
El-P parvient également à jouer avec des loops plus répétitifs, en introduisant sur certains titres un côté mécanique qui crée un contraste intéressant avec le jeu plus posé des cinq autres musiciens (
Get Your Hand Off My Shoulder Pig).
Sans nul doute, la richesse et la finesse de
High Water saura donc convaincre les amateurs de
Cinematic Orchestra comme les aficionados des premiers maxis de
Company Flow. Car
El-P a réussi le tour de force d’imposer sa touche expérimentale tout en laissant libre cours aux idées de
Matthew Ship et de ses compères, pour un résultat fort concluant. Et dans l’absolu, ce dernier opus des
Blue Series représente une superbe réponse à ceux qui avaient enterré un peu tôt un producteur qui aura définitivement marqué son époque…
Chroniqué par
David Lamon
le 03/05/2004