Depuis son QG à Brooklyn, le label Sacred Bones Records s'apprête à sortir Overheated, le premier enregistrements de Profile, un duo australien composé de deux musiciens originaires de Melbourne, James Dalgliesh et Nicolas Kuceli. Les deux hommes n'en sont pourtant pas à leur coup d'essai. À la fin des années 2000, à Brisbane, ils font leur gamme au sein de Slug Guts en tronçonnant au chalumeau la musique des Birthday Party. Dès lors, au côté de Blank Realm, Kitchen's Floor, Per Purpose, et les autres poulains du label "panaustralien" Bedroomsuck, ils participent à façonner le son de cette ville, la capitale du Queensland, qui peut se vanter de posséder aujourd'hui la scène rock la plus déviante du continent australien.
Slug Guts
A côté des prochains albums de Marissa Nadler et The Men, le duo pourrait aisément passer inaperçu sur le catalogue du label new-yorkais, s'il n'esquissait sur Overheated une véritable radicalité qui renvoie à ce que Sacred Bones et son patron ont pu dénicher de plus turbulent au sein de la scène post-punk de Brooklyn et d'ailleurs. Il y a aussi et surtout dans leur synthèse hybride quelquechose de plus difficile à circonscrire. Comme une violence ultra-référentielle mais qui ne renverrait pas seulement à la no-wave ou la musique industrielle de la fin des années 70. À Melbourne, on ne trouvera rien d'éclairant. Mais à l'écoute de leur single éponyme, il est évident que Profile a insufflé toute l'énergie à l'oeuvre dans l'underground survolté de Brisbane. Car cette urgence dans la déconstruction, cette attitude détachée dans la pulvérisation du son comme des icônes, est bien l'apanage de cette jeune scène qui a vu le jour dans les banlieues surchauffées de la capitale de l'est australien.
Blank Realm
Brisbane est, de fait, bien loin du centre de gravité de la musique australienne. Pourtant, plus qu'une autre ville, et malgré sa situation insulaire, il y a poussé un rock bien singulier. Dans les années 80, après la folie des années punk, la power pop des Go-Betweens et de The Saints lui offrent ses premières et seules heures de gloire. Dans les années 90, il ne reste déjà plus rien quand les millionnaires de tout le pays s'y pressent pour recevoir, sur les tables d'opération de la ville, quelques salutaires coups de bistouri. En réaction, The Lost Domain passe au scalpel la pop de ses aînées. Daniel Spencer, le leader de Blank Realm, se souvient dans les pages du magazine Wire (n°335) de leurs performances quasi-improvisées, données dans des maisons de banlieue, faute de lieux dédiés en centre-ville. La formation y passait la musique du Velvet ou de Captain Beefheart au feu d'un blues néo-primitiviste, sorte de no-wave australienne née dans le gaz caniculaire des évènements. Personne à Brisbane n'avait encore entendu ça.
The Lost Domain
The Lost Domain est resté pendantune bonne décennie la seule attraction pour les jeunes desperados de la ville en mal de musique expérimentale. De fait, leurs happenings domestiques ont fondé une véritable communauté. Plus que ça : une tradition. Comme The Lost Domain vingt ans auparavant, Blank Realm, Cured Pink, Per Purpose, Muura, Meat thump et Slug Guts, ont tous vu le jour dans l'obscurité d'appartements et de maisons réaménagées en salles de concert éphémères. Dans ces endroits vernaculaires, propices aux expérimentations les plus débridées, tous ont mis sur pied un rock régressif et hautement inflammable. Plus que par les influences palpables de la no-wave et du blues sur leur son, les musiciens de Brisbane se sont distingués par leur rapport physiqueaux instruments, qu'il s'agisse de triturer les guitares ou de faire hurler les synthétiseurs, en les malmenant sur scène. En oeuvrant toujours ainsi, au seuil limite de leur fonctionnalité, ils sont parvenus à régénérer à l'intérieur durock australien un véritable élan primitif.
Profile
James Dalgliesh et Nicolas Kuceli sont loin de s'être délivrés de l'influence de leurs années à Brisbane. Si toute l'ambiguité de la musique de Profile réside dans sa proximité coupable avec la techno et la musique électronique, l'aspect spontané et bidouillé du son, le bruit omniprésent et la dissonance renvoient toujours aux improvisations néo-primitivistes née dans les quartiers middle-class de Brisbane. Au-delà, et à l'instar du premier EP d'Acteurs, un autre duo, américain celui-ci, formé par Brian Case du groupe Disappears et Jeremy Lemos, Overheated fonctionne surtout par évocations fantasmatiques, imageries forcloses sur elles-mêmes, ne renvoyant qu'à une forme de parodie dégénérescente des rythmiques lancinantes de Suicide et de Joy Division. Rien de typiquement australien dans cette géographie de la mort du punk, s'arquant entre le New York interlope de la fin des années 70 et la banlieue de Sheffield. Et pourtant... c'est toujours à Brisbane qu'on revient.
Profile a annoncé la sortie de son premier LP pour le courant de l'année sur Sacred Bones. Le dernier album de Blank Realm intitulé Grassed Inn est paru sur Fire Records au mois de janvier. La musique de la plupart des groupes de Brisbane continue de se perdre loin des oreilles occidentales, dans les méandres suburbains de la ville...