Après les récentes mises en bouches (
Sous le signe du V), featuring (
No Futur de
Gravité Zéro) et autres projets parallèles (
Buffet des anciens élèves avec
L'Atelier),
Fuzati passe enfin au long format avec
Vive la vie, premier album d’un
Klub des Loosers dont il est désormais l’unique membre officiel. Un casting pourtant non-exclusif, vu que le rappeur et producteur de Versailles s’est tout de même adjugé les services de
Detect pour les nombreuses parties scratchées et de
James Delleck pour la réalisation. Des précisions qui n’ont pourtant pas empêché certains sceptiques de juger le disque a priori, prétendant que le
Klub ne pourrait capter l’attention de son auditeur durant soixante minutes.
A priori et à tort, car
Fuzati livre ici un album de qualité en tous points, malgré un début quelque peu hésitant.
Le manège des vanités s’avère ainsi moyennement convaincant, en reprenant un sample auparavant utilisé par
Necro, et
Dead hip-hop se dévoile comme le petit frère de
Le hip-hop c’est mon pote de
L'Atelier. Les choses sérieuses commencent cependant avec le superbe
Avec les larmes, où
Fuzati joue dans le registre qu’il maîtrise le mieux : les déceptions sentimentales, refrain chanté et sample de flûte à l’appui. Dès lors, le caractère de
Vive la vie s’affirme, et atteint son point culminant avec la métaphore filée de
Ne plus y croire et les révélations intimistes et désespérées de
Pas Stable et de
Perspectives, petits bijoux d’écriture et d’autodérision.
Des textes de très haute facture qui sont davantage mis en valeur par des beats confirmant le flair et le talent de
Fuzati. Sans surprise, ce dernier cultive son amour pour la boucle, mais quelles boucles! Dynamiques et en constant décalage, les samples de
Vive la vie s’inscrivent dans la lignée du visionnaire
Operation Doomsday, en récupérant des sonorités kitsch des années 70 pour confirmer le côté désabusé des textes du Versaillais. Certains titres sortent cependant de cette mouvance, comme le magique
Sous le signe du V, coproduit par
JB Dunkel, ou encore le désormais classique
Poussière d’enfants qui porte encore la patte d’
Orgasmic le Toxicologue.
Enfin,
Vive la vie possède également la cohérence qui fait les grands disques, comme le prouve la transition directe entre
Je me sens seul et
Baise les gens, où
Fuzati dévoile à merveille le paradoxe de son personnage, déprimé par une solitude inévitablement empreinte d’une profonde misanthropie. Une homogénéité également renforcée par les interludes criants de vérité avec Anne-Charlotte, femme bien trop imbue d’elle-même pour se résigner à définitivement repousser les multiples invitations du rappeur.
En résumé, ce premier album du
Klub des Loosers impressionne, charme et enchantera bien malgré lui tout auditeur un tantinet décomplexé des clichés trop souvent véhiculés par l’idéologie dominante de la branche hip-hop. On pourra toutefois se poser la question de la manière d’aborder un potentiel second album, mais comme l’avoue lui-même
Fuzati : «Je suis voué à mourir lentement comme l’industrie du disque mais je n’ai pas à regretter de ne pas avoir pris assez de risques. Il y a des gens qui attendent de moi des choses extraordinaires mais, désolé, je n’ai pas envie de mettre un frein à la misère.» On lui pardonne, il est tout de même parvenu à arrêter pour un instant la morosité au sein du rap français, et c’est déjà beaucoup.
Chroniqué par
David Lamon
le 29/11/2004