A peine remarqué lors de sa sortie en 1999, le premier album de 
Themselves est désormais reconnu comme une pièce majeure de la nouvelle scène hip-hop, gravitant essentiellement autour de labels comme Mush, 
Anticon et Lex Records. Défiant toute idée reçue, 
Them s’est même confortablement installé dans la discothèque idéale de nombreux artistes affiliés à l’electronica, 
Aphex Twin et 
Björk en tête, sans pour autant venir toucher en masse les amateurs de bidouillages en tout genre. Pourtant, ce disque regorge d’idées qui ne cessent de surprendre et de ravir ses adeptes, et ce en dépit du poids relatif des années qu’il commence à supporter.
Une fois de plus, l’histoire débute autour d’un duo, formé dans les couloirs d’une université de l’Ohio par le producteur 
Jel et le MC déjanté répondant au nom de 
Dose One. Après plusieurs projets épars et hautement révélateurs de leur goût pour l’expérimentation, les deux compères rejoignent 
Sole et 
Alias pour l’enregistrement de l’album de 
Deep Puddles Dynamics, où 
Jel se forge une solide réputation de beatmaker accro à la SP1200. Une impression qui se confirme dès l’ouverture de 
Them, caractérisée par un set de batteries irrégulier et saccadé, qui ne cessera de rythmer la majorité des autres titres de l’album. Et le résultat est réellement impressionnant, tant la richesse et la complexité des productions de 
Jel ne semble pas pouvoir sortir de cette seule machine. En vrac et dans le désordre, les principales montées d’adrénaline surviennent au milieu de l’excellent 
John Brown’s Vaporizer, où un beat oppressant cède sans transition aucune sa place à de subtiles notes de clavier, ou encore avec les breaks industriels de 
Revenge for Fern, et surtout sur l’ultra-destructuré 
It’s Them, titre phare de la compilation 
Music for the Advancement of Hip-Hop. En grand seigneur, 
Jel laisse même une petite place à 
J-Rawls, qui signe un 
Directions To My Special Place fort agréable, ainsi qu’à 
Moodswing 9, dont la performance sur 
Death of a Thespian ne restera pas gravée dans les esprits.
Par contre, il va sans dire que la voix nasillarde de 
Dose One ne laissera personne indifférent, tant ce dernier ne cesse de faire évoluer son flow à chaque changement de pattern de 
Jel, passant ainsi d’un répertoire semi-chanté à un débit ultra-rapide, canalisé de temps à autre par une avalanche de chuchotements. Dérangé sur la forme, ce rappeur atypique poursuit son effort de démarcation sur le fond, en récitant de longs poèmes abstraits et pour le moins difficiles à saisir. Fort heureusement, 
Anticon a eu la bonne idée d’inclure les paroles dans le livret qui accompagne l’album, facilitant ainsi la tâche de l’auditeur, qui aura le loisir de trouver un sens à des phrases du genre : «a drip bore a crack and a trickle, soon the hull gathered its body and they all drownto meet with agrin stick and hankerchief amid the flowering dust of the crossroads». En guise d'indice, les textes de 
Dose semblent osciller entre l’exorcisation de ses frustrations (
Directions to My Special Place), sa frayeur chronique pour les clowns (
Another Part of the Clown’s Brain) et les conséquences de son décalage artistique dans le milieu rappologique (
It’s Them), mais rien n’est moins sûr…
Si 
Dose One ne semble pas rechercher le dialogue avec son auditeur, sa complémentarité avec 
Jel ne cesse de faire des merveilles, rendant un disque qui s’annonce difficile d’accès étonnament agréable pour quiconque ne fuit pas devant sa propre incompréhension. Ainsi, quelques morceaux font légèrement retomber la pression, comme en témoigne le son plus organique et posé de 
Canyon Sharpener, où 
Dose fait défiler ses rimes dans un exercice de spoken word d’une incroyable apesanteur. Malgré tout, la tonalité de l’album reste toujours fidèle à la pochette, à savoir noire, torturée et définitivement cérébrale. Un aspect que 
Dose One cultive jusqu’aux dernières notes de l’échappatoire 
It’s Them, en scandant son désormais célèbre «I’m afraid we’ll have to innovate».
Avec le recul, il semble impossible de nier que cet ultime objectif sera atteint sans aucune réserve, comme le prouveront par la suite 
The No Music, les albums de 
cLOUDDEAD et le magnifique 
Circle, réalisé avec l’aide précieuse de 
Boom Bip. Pourtant, bien plus qu’un simple point de départ, 
Them reste un des véritables sommets de la carrière de deux artistes qui ne cessent de tirer profit de leurs hésitations pour pousser toujours plus loin leur spontanéité, leur réflexion et par là-même notre plaisir.
	
	
		Chroniqué par 
		David Lamon		
		le 28/04/2004