Mogwai a toujours été (aussi) un groupe métamusical. Loin des clichés sur le post-rock, il y a toujours eu, au cœur de la musique de ce groupe, une autre ambition, une ambition qui dépassait largement le cadre du genre dans lequel on l'a pourtant inscrit.
On pouvait déjà l’entendre, par exemple, sur punk:rock (Come On Die Young), qui faisait entendre un Iggy Pop, plus si jeune délinquant que ça, sans doute, argumenter en faveur des mérites de la musique punk.
Ce nom, aujourd’hui, Mogwai le fait entendre clairement, à nouveau, sans même la peur de leurs commencements. Ce nom, c’est celui de Satan.
Planté là, au milieu du disque, Repelish, invoque son nom, son image, sa présence, ou mieux encore : sa puissance — dans la musique. De Mick Jaeger à Alice Cooper, en commençant d’ailleurs par Led Zeppelin et son Stairway to Heaven. Et s’il n’y a pas loin entre cette énumération herméneutique et le canular pur et simple, il faut toutefois l’entendre pour le croire, il y a autre chose, aussi.
Car il y a bien une ombre, ou quelque chose qui y ressemble vraiment, et qui plane sur ce disque, moins une croyance qu’une atmosphère. Quelque chose que, si on écoute attentivement, on peut voir aussi dans ce tableau de John Martin, le Pandémonium, et qui puise son inspiration à la source du premier livre du Paradis perdu de John Milton. Une atmosphère rouge, comme le sang, mais volcanique, aussi, et des forces telluriques qui remontent du plus profond d’une terre lointaine. Dans le récit que fait John Milton, après sa chute, Satan, plutôt que de déclarer à Dieu une guerre qu’il sait perdue d’avance, choisit de rendre visite à Adam et Ève. Et si la suite venimeuse de cette histoire que nous connaissons tous peut effectivement être considérée comme la chute, elle peut aussi être considérée comme la chance.
Et Rave Tapes parle sans doute de cette chance-là ; moins de la chance de rencontrer Satan (ce que, à titre personnel, je ne souhaite à personne d’autre qu’à moi) que de la chance de connaître.
Ainsi, dans cette approche métamusicale de la musique, la chance de connaître suffisamment bien la musique pour s’en jouer à merveille. Décoder les codes des genres, déchiffrer sa propre musique illisible, pour une musique inaudible parce que silencieuse.
Dégenrer les genres.
Ainsi, passer les synthétiseurs au premier plan, jouer les solos des guitares comme un forcené, mais les basculer à l’arrière-plan. Déjouer les plans trop faciles, les idées trop évidentes.
Surtout, dans cette perspective métamusicale, trouver une source supplémentaire — c’est-à-dire le propre de Satan : une raison et donc, un savoir — de faire de la musique.
À la fin de Repelish aussi, Mogwai te demande : « What about you ? What do you choose ? » À cette question rhétorique, la réponse, on le sait, elle va de soi. Le choix, personne ne l’a. On ne se le donne pas. Il s’impose ; comme ce disque.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 20/01/2014