Au bout d'une quinzaine d'années, le math-rock a fini par devenir, dans un certain milieu, le dernier chic. Avec plus ou moins de bonheur (plutôt moins que plus). Dieu (ou
Don Caballero — en l'occurrence, il s'agit de la même personne) merci !, certains ont le bon goût d'allier ce dandysme incertain à un réel talent. Personne ne s'étonnera d'ailleurs du fait que ce groupe au charme transpirant —
Papaye, donc — appartienne à la constellation Kythibong (cf.
Room 204, et passim.) et soit signé, pour la version cd du LP
La chaleur, sur Africantape. Tout se tient, logique et cohérent, dans ce beau monde.
Plus intéressant que les mondanités math-rockiennes, toutefois, le contenu de ce disque : court et comme ramassé sur lui-même avec cette volonté farouche d'aller à l'essentiel, d'en découdre franchement avec le rythme, les deux guitares à la fois solistes et rythmiques (fracassant comme on l'espérait les repères du rock même le plus indépendant) n'assommant pas — ce qui serait, du paradoxe, le comble— la seule batterie. Une minute de plus que vingt-cinq de riffs, cassures, ruptures, rythmiques à la dynamite, dans le genre, forcément dans le genre. Mais avec ce je-ne-sais-quoi qui distingue un groupe de la masse.
Moins jazzy que
fago.sepia, plus ébaloré que
Room 204 (ne serait-ce que pour cette raison : 3 > 2),
Papaye remue un nombre incalculable d'idées à la minute. Parfois difficile à suivre, mais toujours excitant et proprement jubilatoire,
La chaleur distille des gouttes de sueur qui sont autant de perles. L'inaugural
Gym tonus et sa manière bien à lui de saboter tous les temps qu'il se donne. Le quasiment éponyme
La sueur et sa façon de reprendre d'une main ce qu'il donne de l'autre ("Que ta main gauche ignore ce que fait ta droite, mais soigne les deux", Évangile selon Saint Steve Albini). L'explosif et tubesque
Cheval télescopique. L'impossible
Tuna Island, véritable tour de force assourdissant de virtuosité et d'ingéniosité. L'Atlantique, mais pas à la rame,
Florence Arthaud, presque tendre et puis, en fait, non — fiancée de la caisse claire martyrisée et de la saturation (Saint Ian Williams, archange du tapping, priez pour nous). Ainsi va la litanie des pièces parfaites.
On l'aura compris (ou pas) :
La chaleur de
Papaye est un disque chaud, mais vraiment.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 10/02/2011