Senking (l'Allemand
Jens Massel dans le civil) est peut-être une des figures les plus iconoclastes du label
Raster-Noton. Parti du postulat ultra-rigide de celui-ci, il a su insuffler à sa musique la puissance narrative et sonore du dubstep. De ce point de vue, son album
List paru en 2007, fait office d'opus magnum.
Massel y démontrait un sens aigu de la mélodie et une évidente agilité technique. Réussir à créer une musique aussi exigeante mais aussi pleinement ludique et enthousiasmante n'est pas chose aisée. Lui y parvenait totalement. C'est sans doute là l'apanage des producteurs de musique électronique les plus talentueux.
Intitulé
Pong, son nouvel album part d'une bien étrange idée : celle de rendre un hommage musical au célèbre jeu vidéo du même nom, petit bijou d’électronique en son temps (les années 70 !). L'ambiance de cette nouvelle mouture est donc au minimalisme, à l’image de l’interface préhistorique du jeu. Mais là s’arrête l’analogie, car le concept de
Pong est plus le prétexte d'une descente mentale au son d’un dubstep racé. D’ailleurs, l’atmosphère du disque peut tout aussi bien rappeler, comme le signale malicieusement la fiche presse de
Raster-Noton, celle des compositions d'
Angelo Badalamenti pour les films de
David Lynch.
En tout cas, vous l'aurez compris: l'« ambiance », c’est le maître mot de
Pong. Tout est en effet mis en œuvre pour plonger l'auditeur dans un trip filmique des plus hypnotiques où musicalité rime souvent avec physicalité ; grâce notamment aux percussions lancinantes et aux grondements sismiques des infrabasses se répercutant dans un écho de souterrain. Ajoutez enfin à cela des nappes de clavier vrombissantes, pesantes à souhait et vous obtenez un son qui a de quoi faire trembler les cloisons de votre esprit.
Là-dessus
Massel crée des progressions narratives subtiles et parfois même étonnamment élaborées, comme sur les neuf minutes douze du fantastique
Low Flow. Il met alors en avant des influences et des sonorités très diverses mais toujours parfaitement digérées : downtempo nocturne et jazzy à la
Bohren und Der Club Of Gore, glitch tout droit sorti des productions de
Pole, ou encore ambient technoïde rappelant vaguement
The Black Dog quand il s'agit d'esquisser une atmosphère d'autoroutes urbaines, de tunnels souterrains éclairés aux néons.
Sigmund Freud (que je n'avais pas encore trouvé le moyen de citer) aurait certainement dit de cet album qu'il est d'
une inquiétante étrangeté en ce qu'il confère malgré un onirisme parfois lugubre, un sentiment indicible de familier, bizarrement réconfortant. Bref, même si il n'arrive pas tout à fait au niveau de
List,
Pong est un album à ne manquer sous aucun prétexte, c'est une nouvelle preuve de la créativité sans limite de Jens Massel.