Petros Voudouris aka
.Pridon a certainement dû écouter le
Chiastic Slide d'
Autechre, les premiers émois bucoliques de
Boards Of Canada autant que les signatures du démarrage du label
Rephlex (
AFX et ses alias,
The Kosmik Kommando...). En tout cas son disque,
Apnea Eina, le deuxième chez
Low Impedance Recordings, en porte les stigmates. A la nuance près qu'on n'y entend pas que ça. On y perçoit même pas mal d'autres choses (l'école IDM russe,
Novel 23 en tête et les réminiscences de l'expérience de la maison
A.I.), certaines qu'on aurait préférées ne pas retrouver (le titre
Sunk et sa coupe afro mal taillée), le tout dans un ensemble fluide, stupéfiant par endroit d'audace raffinée, qu'une écoute active, casque aux oreilles, rend sincèrement légitime.
Vigilant,
.Pridon se refuse ainsi à enfiler les guenilles dépareillées d'un ordinaire contrefacteur, jonglant sur le legs et la valeur d'autres. Et ne s'arrange donc pas de cultiver, en infâme prébendier, un sillon ouvert avant lui, il y a maintenant un bout de temps.
Programmateur intelligent et sensible, chantre de sonorités analogiques, fervent défenseur de la force de l'improvisation (il se revendique d'un certain "freestyle électronique"), il a bien intégré que la plus belle manière d'avancer sur les traces de créateurs hors normes relève, entre autres, de l'art du contre-pied. Cela suppose une profonde assimilation des productions tant appréciées, passage incontournable - et largement emprunté ici - pour qui s'entend les prolonger, et qui sait peut-être les sublimer. Une approche qui d'une part, génère au passage de lourdes déflagrations d'aigreur, émanations fétides d'impayables handicapés du tympan qui sans crainte du mal entendu, ne ratent jamais une occasion de hurler au plagiat ; et qui d'autre part, permet le cas échéant, quand le talent est au rendez-vous, de sortir une série de bons morceaux. Ce qui en somme est là, bien le cas.
Plus énigmatique et délicat qu'un rêve porté par un spleen arborant le masque chamarré d'un improbable bonheur, ce troisième album atteint enfin cet équilibre instable et étonnant où les expérimentations migrent vers les archétypes, où le mandarin fouineur de discothèque et le simple pékin se la mettent comme il se doit au comptoir, pendant que le temps, suspendu, n'a que faire des référencements et autres name-dropping désuets.
C'est tout simplement agréable d'assister à d'aussi réussis entrelacs d'IDM, d'electronica et drum'n'bass, de glitchs acérés et de synthés rétro-futuristes (le dub mélancolique de
She Bit me First porte d'entrée dorée de cet opus), de techno (l'hypnotique
Here Be the Dragons, embardée nocturne à Motor City), de breakcore (le junglisant
Gin), d'ambiant et de hip-hop (une
Flask Bordon au psychédélisme fumasse), de funk cybernétique et de bleep-hop (le génial
Lithos minimal et sombre, très mauvais pour la nuque). C'est suffisamment rare pour apprécier à leur juste valeur ces onze titres et presque autant d'algarades lancées à l'aplomb de la banalité fade des productions décavées contemporaines ; pour finir par comprendre qu'
Apnea Eina est surtout une chance pour qui la fuite en avant post-97, tête première dans le tout-abstrait assommant, de la dance musique intelligente est restée une plaie béante. Pour les autres, il n'y aucun mal à se faire du bien.
Chroniqué par
Yvan
le 12/10/2008