Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.
Ez3kiel ne cessera décidément de nous surprendre.
Barb4ry tombait comme un pavé dans la mare. Quittant les paisibles berges du dub, le groupe plongeait dans une rivière nourrie de multiples confluants, rendait par la même occasion sa musique insaisissable, inclassable, espèce d'OVNI musical dont l'originalité n'avait d'égal que la beauté. Cinq ans plus tard, c'est
Naphtaline qui sort des usines. Brouillant toujours plus le chemin de l'auditeur, on ne savait trop dire s'il fallait le prendre comme signe d'une évolution plus marquée vers l'acoustique, ou d'un projet à usage unique. Il n'a pas fallu cinq ans pour y répondre.
Battlefield débarque alors qu'on a à peine eu le temps de se remettre de
Naphtaline. Résolument tourné rock, il prouve que la formation n'hésite jamais à aller là où on ne l'attend pas. Chaque direction prise ne change pas le cap pour autant. La patte
Ez3kiel, celle qu'il a acquise depuis
Barb4ry, est toujours là. Suffit d'écouter
Break Or Die pour s'en rendre compte. La continuité ne se traduit pas seulement dans la récurrence des ingrédients utilisés (batteries légèrement drillées, xylophone, violon, accordéon, et j'en passe), mais aussi par cette espèce de fil conducteur que le groupe s'est mis en tête de suivre.
Naphtaline reprenait
Le Lac des Signes de
Barb4ry,
Battlefield reprend le
Volfoni's Revenge de
Naphtaline. Par ailleurs, les fidèles
DAAU refont une apparition sur
The Montagues and the Capulets : une version très personnelle du célèbre thème de
Sergei Prokofiev, celle qu'on nous sert chaque fois qu'il s'agit d'illustrer l'ancien régime soviétique.
Pour ce qui concerne les nouveautés : la guitare, qui faisait déjà son apparition sur
Naphtaline, se montre beaucoup plus présente ici. Si elle conférait au précédent album une sérénité bien post-rock, elle n'hésite plus à exploser et pousse
Battlefield aux frontières du rock et du métal. La trompette aussi. En solo, elle donne une légère couleur
Erik Truffaz (mélange jazz - rock oblige). En choeur, on imaginerait bien
Adamantium ouvrir un concert du
Peuple de l'Herbe. Les références sont nombreuses.
Coal Flake sonne comme un
65daysofstatic converti au folk.
Wagma comme une libre inteprétation de
Shine On You Crazy Diamond, des
Pink Floyd ;
Alignment comme un featuring de
Saul Williams avec
Massive Attack. D'ailleurs,
Ez3kiel n'oublie pas quelques détours par le trip-hop. Avec
The Wedding, c'est comme s'il tentait d'improviser sur une pièce issue de
Mezzanine. Avec
Spit On The Ashes, c'est comme s'il voulait pousser
Tricky (je pense surtout à lui pour le duo homme/femme) à se muter en
Jonathan Davis, finissant par gueuler à tue-tête un "take it from me" qu'on dirait droit sorti d'un album de
Korn.
La diversité est certes une qualité, mais à force de vouloir s'essayer à tout, on n'excelle finalement nul part. C'est peut être le reproche que l'on pourrait adresser à
Battlefield. On ne peut l'accuser de manquer d'identité ou de cohérence, ça c'est certain. Mais si
Barb4ry ou
Naphtaline exploraient un registre particulier et s'acquittaient de leur tâche avec brio,
Battlefield ouvre tellement de pistes qu'il en devient une espèce de compilation d'ébauches n'arrivant jamais à la hauteur des références dont il s'inspire. En revanche, on peut saluer l'harmonie qu'il réussit à entretenir malgré ces pièces extrêmement variées, ainsi que la maîtrise des nuances dont il sait faire preuve. A la fois dans le développement de l'album : au post-rock ambient de
Lull succède l'espèce de metalcore noise de
Firedamp – c'est pousser l'audace jusqu'à programmer
Explosions In The Sky en première partie de
Converge. Mais aussi dans le déploiement des morceaux.
The Montagues and the Capulets monte, gronde, et se voit flanqué d'une douce conclusion post-apocalyptique.
Volfoni's Revenge, pour sa part, démarre à feux doux pour éjaculer un final néo-métal.
Assurément,
Ez3kiel n'a pas perdu de son talent. Avec
Battlefield, il s'en paie une bonne tranche en réunissant au sein d'un même album tout ce qui le tient à coeur. L'essai est intrépide et sa richesse lui réussit bien. Quoi de plus plaisant que d'écouter un groupe laisser libre cours à toutes ses folies sans se sentir oublié pour autant.
Chroniqué par
Tehanor
le 25/01/2008