S’intéresser au parcours musical des Écossais de
Belle & Sebastian s’apparente véritablement à une relation amoureuse. Une de celles qui, particulièrement chaotiques, nous font passer par une multitude de sentiments aussi intenses que contradictoires. Il faut dire tout de même que, après le coup de foudre ressenti en 1996 à l’écoute de
Tigermilk et surtout de l’indépassable chef d’œuvre
If You’re Feeling Sinister, l’amour que l’on porte au cultissime groupe glaswégien ne sera pas resté aveugle bien longtemps : deux années et un
The Boy with the Arab Strap paresseux et caricatural auront suffit à nous faire redescendre sur Terre. Par la suite, le laisser-aller coupable de
Fold Your Hands Child, You Walk Like a Peasant et l’inconsistance bancale de
Storytelling auront mené l’amateur de pop subtile et délicate à l’infidélité chronique, trouvant dans des groupes comme
The Clientele ou
Camera Obscura ce que Stuart Murdoch et sa bande ne pouvaient visiblement plus lui offrir sur la durée d’un album.
Heureusement, quelques singles flamboyants (rassemblés l’an dernier sur la somptueuse compilation
Push the Barman to Open Wounds) venaient de temps à autres entretenir la flamme et l’espoir. Heureusement encore,
Belle & Sebastian nous surprenait en 2003 avec un
Dear Catastrophe Waitress à la fantaisie inattendue. Un peu à la manière de ces femmes délaissées par leur mari et qui usent un soir d’un audacieux strip-tease pour se rappeler à leur attention, les compositions du groupe de Glasgow arboraient cette fois-ci des tenues sonores plus osées, malicieusement taillées par le producteur Trevor Horn.
Simple sursaut ou amorce de quelque chose de plus durable, d’une remise en question, d’une sorte de renaissance ? Après l’écoute de
The Life Pursuit, nous inclinons volontiers vers la deuxième proposition. Combinant avec bonheur le côté délicieusement réconfortant de
If You’re Feeling Sinister et la dimension décalée de
Dear Catastrophe Waitress, ce septième album marque en effet du sceau de la seconde jeunesse une dixième année de vie commune que l’on n'aurait pas crue aussi stimulante, aussi enthousiasmante. D’abord parce que
Belle & Sebastian diversifie enfin leur panel d’influences : aux côtés des
Felt et
Love sempiternellement invoqués, on trouvera dans
The Life Pursuit des références au glam-rock (sur
The Blues Are Still Blues) ou encore à la soul et au funk (
Song for Sunshine).
Ensuite, et surtout, parce que le disque contient quelques perles de pop ensoleillée comme Stuart Murdoch en avait rarement écrites. A l’écoute des lumineux
Another Sunny Day,
We Are the Sleepyheads ou
Funny Little Frog, on veut bien croire que le songwriter écossais n’est désormais plus l’adolescent renfermé qu’il était jadis. Ce qui ne l’empêchera d’ailleurs pas de nous proposer, avec
Dress Up in You, une de ces chansons douces-amères dont il a toujours eu le secret. Notons enfin, car cela n’est pas forcément coutumier du groupe, l’excellence des dernières chansons de l’album. Ainsi
For the Price of a Cup of Tea risque d’être souvent entonné à tue-tête sous la douche dans les mois à venir ;
Mornington Crescent, quant à lui, nous plonge dans une mélancolie introspective que d’étranges échos de
The Flaming Lips rendent par moments planante et onirique.
En définitive, on ne pouvait pas rêver meilleur album pour passer le cap des dix ans avec ce groupe si attachant qu’est
Belle & Sebastian.
The Life Pursuit vient même témoigner avec force que maturité et passion adolescente ne sont pas nécessairement antinomiques. Et qu’il aura donc fallu attendre un septième album pour, de nouveau, atteindre le septième ciel auquel on avait pu accéder avec
If You’re Feeling Sinister.
Chroniqué par
Grégory
le 07/03/2006