Nous devrions toujours écrire sur les disques que nous écoutons et dont nous voulons parler comme s’ils étaient essentiels, fondamentaux, non pas indépassables, mais incontournables. Qu’ils le soient ou non, ce n’est pas ça qui importe. Ce qui importe, c’est que nous en fassions la fiction. Car, si nous ne faisons pas cette fiction, à quoi bon écrire, c’est-à-dire : à quoi bon se parler de ces disques ?
Parler ainsi, de cette voix fictive qui propose une forme de nécessité, c’est en l’espèce affirmer qu’il faut se méfier de la simplicité. Elle n’est parfois qu’une apparence. Mieux : elle n’est parfois qu’un subterfuge. Ou bien, c’est un piège dans lequel il est bon de se laisser tomber et dans lequel il faudrait dès lors apprendre à tomber.
En écoutant
Texas lo-fi corporation, on risquerait d’avoir l’impression que rien ne se passe, que rien ne se produit dans cette production et que tout s’y déroule de manière continue, sans haut ni bas. C’est vrai qu’il n’y a pas de solution de continuité, qu’il n’y a pas de déploiement, mais des plages qui se succèdent et qui visitent chacun un coin de cette electronica teintée de riffs de guitares et de voix comme des échos, qui caractérise
Arithmetic paperplane. Cette impression est justifiée car, c’est bien dans l’évidence d’une écoute confortable que ce disque nous entretient.
Personal drone, qui donne le ton de l’album, semble tout ignorer de la complexité contemporaine de l’electro, des structures faussement linéaires dans lequelles germent des idées de breaks constants, de même qu’il ignore la manière dont elle lorgne vers la pop, le clinquant fluo de certains sons synthétiques.
La simplicité n’est pas la platitude, ce n’est peut-être même pas tant une conception de la musique qu’une manière de l’aborder, de s’y rapporter et de la produire qui cherche moins à perturber des dispositifs, à brouiller des pistes qu’à les présenter (
Asphalt light,
Je me noie). Aussi,
Massive airlines parvient à mêler la scansion dub du tempo, des basses synthétiques et des riffs de guitare “post-rock” (qui sont encore sensibles sur
Briseglace) sans choquer : un tel mélange n’a rien de la transgression ou de la provocation, c’est une alliance de formes et d’atmosphères dont le principe est décliné avec un naturel qui est finalement assez rare en musique.
L’important serait donc de comprendre que ce qui nous retient, ce qui apparaît comme en tension derrière la simplicité de la musique de
Texas lo-fi corporation n’est pas tant dans la musique elle-même que dans notre écoute, dans cette attente que fait naître la musique au sein même de notre écoute. C’est en somme cela le subterfuge de la simplicité de cet
Arithmetic paperplane : parvenir à créer une attente qui sera peut-être déçue, mais qui ramène constamment à la musique, attire à elle une attention qui pourrait la fuir.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 08/02/2006