Cheap Fun EP, ou le secret le mieux gardé du club hop français, est finalement revenu de Lex à Institubes. L'objet est dense : huit morceaux pour 24 minutes. On dirait un épicentre dont les morceaux-secousses se propagent en huit directions diamétralement opposées, avant de revenir en leur centre, presque une octalogie de l'effondrement à lui seul.
Difficile de s'en saisir, donc. La première partie de cet EP pose ses ambiances poisseuses, étranges. Une ouverture aux accents préfusiens (
Keratine) fait place à une frénésie synthétique breakée et clubesque (
Dressed In Polyester) pour s'éteindre en une mélodie étrange et désertique, qui dialogue seule avec des rythmiques arythmogroovy (
Où Va l'Argent ?). Au centre, le séisme attendu et annoncé,
Emofuck, sorte de balade électronique-bass boiteuse. La basse imposante souligne et danse avec des sifflements enniomorriconesques. Western spaghetti électronique, qui m'avait d'abord semblé eurocrunk : probablement le désir (provoqué par la trop longue attente de
Cheap Fun) de trouver dans cet EP les hymnes "qui mettraient tout le monde d'accord" et tabasseraient définitivement le reste de la production contemporaine.
Alors quoi? La musique de
Tacteel frappe par son minimalisme, en dépit de sa densité. A l'évidence, notre homme a assimilé comme personne ses références. Cette capacité à utiliser des éléments minimaux, presque des codes (la basse booty, le
whistling morriconesque), c'est
Tacteel. Minimale, immédiate, cérébrale, dansante, imprévue aussi (l'ouverture d'
Emofuck, la clôture de
Beats Like That).
La seconde partie du séisme, l'effondrement rythmique, est davantage orientée vers le loopfucking. Davantage hip hop (
Tacteel récupère des flows sur
Now Do The,
Beats Like That,
Let You Know In Advance), davantage électronica (
Let You Know In Advance), davantage breakcore (
Now Do The, autre épicentre pour clubhoppers), davantage tout le reste aussi. Plus complexe aussi, en regard de la complexe polyrythmie organisée par la juxtaposition de ligne répétitives sur
Beats Like That. Pour clore cette architecture implosante à huit volets,
Let You Know In Advance, splendide ruine érigée de samples et de boucles concassées.
Tacteel construit,
Tacteel détruit,
Tacteel déconstruit, il a l'air de s'amuser le bougre, et pour pas cher - c'est un peu le problème en fait : une production moins intimiste, davantage gonflée au gros son aurait bien mieux supporté ce projet qui reste, dans son esprit, de bonne facture mais qui accuse en quelque sorte d'un défaut d'ampleur, costume un peu étroit pour son ambition (ou pour les ambitions que l'on avait pour lui ?). Ecoutez
Cheap Fun EP et changez huit fois d'écoute du monde : cet EP s'est de toute manière trop fait attendre pour l'ignorer aujourd'hui.
Chroniqué par
Mathias
le 07/12/2005