Album-concept tournant autour du passage de l’amitié à l’amour, ce disque est le projet d’un multi-instrumentiste visiblement bien entouré de femmes, auxquelles cet album est peut-être dédié. Et d’ailleurs,
Françoise Blanchot est un homme :
Alexandre Saint-Onge. L’opération transformiste du seing comme moyen de saisir un peu plus précisément, profondément, la psyché féminine. Disque d’instruments et de voix, où se côtoient contrebasse, percussions, piano, saxophone, guitare, boîtes à rythme et orgue, ainsi que les voix de
Marie-Douce Saint-Jacques,
Kathryn Jutras,
Maryse Poulin,
Rachel Levine,
Tamar Tembeck,
Anni Lawrence,
Madeleine Tellier-Craig et
Alexandre Saint-Onge lui-même, le tout analysé et atomisé par l’électronique, au point de rendre méconnaissable toute la chair instrumentale de cet album et de ne laisser subsister qu’un infime substrat de voix.
L’examen des titres semble révéler une sorte de parcours depuis un viol fondateur jusqu’au discours de l’inconnu(e)? (
Saint-Onge lui-même, si on se fie à cette incertitude pesant sur le genre de l’individu en question, ainsi qu’à ce point d’interrogation qui vient faire vaciller son existence), en passant par l’amitié, la naissance du désir et une forme possible de commerce charnel. Tout ainsi aboutit à la figure de l’inconnu(e)?, épicentre d’un album qui consacre le caractère mystérieux d’un désir perçu ici comme une énigme cosmique : « L'inconnu(e)? vous demande comment le sentiment d'aimer pourrait survenir. Vous n'en savez rien. Personne ne sait. Elle vous répond : peut-être d'une faille dans la logique de l'univers. Elle dit : par exemple d'une erreur. Elle dit : jamais d'un vouloir. »
S’entourer de femmes pour écrire et réaliser un projet musical, c’est donc investiguer concrètement, charnellement ce mystère, tenter de trouver une solution autant musicale que sensuelle, érotique. La multiplication des instruments comme autant de possibilité d’un dialogue lyrique et amoureux avec les muses, et l’électronique comme manière de se réapproprier, de posséder ces figures féminines. Intention séduisante qui de fait met un peu à distance le caractère digital et expérimental qui s’impose lors d’une écoute aveugle, au profit d’une lyrique, voire d’une mystique des amours multiples, selon des formats oscillant entre la musique free et la musique pop, une pop concassée, pulvérisée, informelle, aschématique et dont seules demeurent mélodies et harmonies. D’où, finalement, un étonnement de voir le désir souvent tenu en bride, lorsque la chair délaisse la musique au profit des spectres (sauf pour
L’appel des bêtes intersticielles mais aussi d’une fille), comme si
Saint-Onge préférait définitivement la musique aux femmes, les expériences à la chair, l’expression du désir au désir lui-même. Cette lyrique et cette mystique de l’amour s’effondrent donc d’elles-mêmes, renoncent in fine à leur projet, font marche arrière, faute de savoir où aller, faute de conviction réelle. « La chair est triste, hélas… »
Chroniqué par
Mathias
le 29/11/2005