Pour ceux qui regretteraient les mutations ethno-folk de
A Silver Mt. Zion, les Suédois de
Library Tapes se profilent comme le palliatif espéré. Avec
Alone in the Bright Lights of a Shattered Life, ce duo piano/guitare propose un premier album rappelant fortement l’essai initial du groupe canadien (à l’époque où il n’était encore qu’un trio). De l’esthétisme de la pochette (lignes à haute-tension en noir et blanc et silhouette d’oiseau noir à l’intérieur), jusqu’au titre de l’opus (qui résonne comme un écho approximatif au
He Has Left us Alone but Shafts of Light Sometimes Grace the Corner of our Rooms), l’ombre montréalaise plane sur ce disque, sorti d’ailleurs sur Resonant (label du premier
Esmerine).
Mais la comparaison reste tout de même trop limitée, au vu de la musique proposée par
Library Tapes. Refusant l’usage des habituelles cordes, le groupe se concentre sur l’amplitude toute relative que lui permet sa formule dépouillée. Un titre comme
…In a safe place… somewhere near your heart… porte ainsi plutôt mal son nom, tant c’est une tension perceptible qui préside à son évolution. Jouant le jeu de la saturation,
Library Tapes se détache des modèles post-rock consacrés par le refus d’une batterie motrice et d’amplis démultipliés. Le chaos sonique naît alors d’une texture de piano à l’innocence apparente, dévoilant sa noirceur comme par surprise.
Mêlant leurs lignes mélodiques à des field recordings, le duo opère dans les terrains vagues que laissent deviner les photographies de l’artwork, à mi-chemin entre les effluves urbaines et le souffle industriel. Si l’orientation acoustique offre certaines possibilités à leur musique –
The leaves have left us comme apaisé – c’est dans la rugosité et la saturation que
Library Tapes réalise ses plus belles pièces. Une ligne de piano fragile et répétitive émerge ainsi par-dessus la fusion granuleuse des machines sur
Cold leaves for the violent ground. Une formule étirée à l’extrême avec
The scratches on the window in the doors of each cell qui évoque
Mogwai à qui l’on aurait confisqué leur armurerie de six-cordes.
Mariage des diverses directions empruntées par cet album, l’ultime piste éponyme s’impose comme un modèle de tension et d’instabilité. La fausse quiétude inaugurale cède lentement sa place à une dislocation de l’édifice, dont les effets saturés résonnent comme en suspension, dégagés définitivement de toute tentation mélodique, pour s’étendre en un drone final imperturbable.
Quelque part entre les champs expérimentaux développés par
Set Fire to Flames et les travaux de
Sylvain Chauveau, la musique de
Library Tapes privilégie la sensation fragile et l’évocation évanescente, tout en les fissurant par de longues déflagrations, comme figées et des textures sonores granuleuses. Un premier album brumeux et dépouillé qui, malgré des ambiances familières, convainc et séduit à la fois.
Chroniqué par
Christophe
le 29/11/2005