Depuis près d’une dizaine d’années maintenant, le Canada s’impose comme une terre féconde en sensations rock, offrant son lot de groupes enthousiasmants, comme pour s’excuser des dérapages de ses multiples chanteuses à voix. Si dans un premier temps ce renouveau s’est manifesté par des productions assimilables à la mouvance post-rock (les productions de Constellation bien sûr, mais aussi celles d’Alien 8), la pop montre le bout de son nez depuis quelques années, protéiforme, de
Stars à
Broken Social Scene, d’
Arcade Fire à
Feist. Alors que l’on pourrait craindre la saturation, les nouveaux venus
Bell Orchestre s’imposent comme une surprise de bon augure, à cheval entre ces deux familles musicales, présentant une formule hybride qui réussit à atteindre un miraculeux équilibre entre compositions exigeantes et mélodies séductrices.
Ici, pas de chant, mais quelques sifflements par endroits et autres tapements de mains. Pas de schémas faits de montées et d’explosions, d’ailleurs les guitares ont été bannies de cet album. Une dimension humaine et organique illumine les 11 pistes de cet album. Violon, contrebasse, cuivres et machines diverses (du synthé à la machine à écrire) forment le line-up de ce groupe et pourtant, jamais la musique de
Bell Orchestre ne s’égare dans l’abstraction ou l’errance en suspens. Un souci constant de la mélodie préside à l’enchaînement des titres, refusant encore les creuses répétitions qui caractérisent parfois ce genre de compositions. La majorité des morceaux n’excèdent ainsi pas les 4 minutes.
Définir la musique de
Bell Orchestre relève par contre du défi à réserver aux seuls obsédés de l’étiquette. Un mot pourtant suffirait peut-être à la qualifier: libre! En effet, c’est bel et bien une sensation incroyable de liberté qui se dégage de ce
Recording a tape the colour of the light, dans la manière dont les compositions évoquent des musiques entendues ailleurs dans le même temps qu’elles frappent par leur originalité. Flirtant avec un post-rock tendu et dépouillé – on pense à
Hangedup sur
Les lumières pt. 2 et l’entêtant
Throw it on fire – et des instrumentaux cinématiques – aux
Rachel’s de
Systems / Layers sur
Recording a tunnel (horns play underneath the canal) et plus encore avec
The upwards march – certains titres osent encore quelques œillades vers le jazz (pour le rythme de la contrebasse), l’ambient (le melodica soliste sur
Nuevo) ou la fanfare aérienne (le superbe
Salavatore Amato). Mais c’est une sensibilité pop qui s’impose avant tout, donnant à cette musique une immédiateté fragile et miraculeuse, à la magie fascinante. Un savant mélange, presque magique, où l’on ne s’étonne pas alors de retrouver quelques noms familiers sur la pochette de l’album, aperçus au sein d’
Arcade Fire (Richard Reed Parry, Sarah Neufeld et, pour un titre, Regine Chassagne).
Avec ce premier album,
Bell Orchestre réussissent un coup de maître, réconcilier amateurs de musiques aventureuses et adeptes de mélodies plus directes. Ne cédant jamais à la facilité ni aux trucs et astuces propres à combler le manque d’inspiration, les morceaux composant ce
Recording a tape the colour of the light (superbe titre en passant, qui dit si bien la teneur de ce disque) impressionnent par le grand écart qu’elles suggèrent, à placer la musique avant toute autre préoccupation, insensibles aux modes et courants du moment. Tout simplement lumineux.
Chroniqué par
Christophe
le 15/11/2005