Réunis aujourd’hui sur un seul et même disque, les deux enregistrements de concerts qu’
Albert Ayler concéda au label ESP dans les années 1960 reviennent sur la manière - en trio ou en quintet - qu’avait de mener la danse la figure emblématique du free jazz. Près d’un an d’intervalle, entre
Prophecy et
Bells.
1964, pour le premier. En compagnie de
Sunny Murray et de
Gary Peacock,
Ayler répète des thèmes, qu’il fait ensuite fondre pour mieux les déformer (
Spirits). Passant d’aigus arrachés en vol aux rauques qu’il impose, il oscille sans cesse d’un fortissimo non négociable à une discrétion programmée (
Wizard), distribuant toujours autrement un vibrato fait signature.
Sur
Prophecy figurent deux versions de
Ghosts, morceau étendard dans lequel le compositeur voyait un refrain, populaire et personnel, écrit expressément pour subir toutes les perversions. Débordants d’allégresse avant que le trio décide d’aller explorer les caves,
Ghosts, first variation profite des élans indomptables de
Murray, quand
Ghosts, second variation se range du côté de
Peacock, dont les impulsions et les résistances règlent rapidement leur compte aux tensions.
1965, cette fois. Devant l’assistance du Town Hall,
Albert Ayler mène
Bells, longue pièce faites de mouvements changeant au gré des velléités d’un quintet prédisposé à en découdre. Se passant le relais, les musiciens brossent à contresens les refrains entendus. Sur le battement incisif de
Murray, on assène un chaos magistral avant d’imposer à l’unisson des rengaines expiatrices.
Si la contrebasse de
Lewis Worrell souffre de la comparaison avec celle de
Peacock, on trouve un réconfort dans le phrasé de
Donald Ayler. En parallèle à l’alto de
Charles Tyler, ou en évolution indépendante, les figures libres du trompettiste surprennent et rassurent tout à la fois. Une ballade suintant l’angoisse – qui a, plus tôt, étouffé un jazz folk martial – se fait soudain torrent. Et
Ayler de partir, comme souvent, à la recherche de la source, qui apaisera les découvreurs exténués.
Chroniqué par
Grisli
le 14/09/2005