Depuis 1993, chaque année impaire a vu la sortie d’un nouvel album des
Tindersticks, comme un rituel attendu. Mais la tradition est rompue cette année. Le groupe s’accorde une pause méritée, après près de quinze années musicales. Les fans ne resteront pourtant pas les main vides. Profitant de ce temps d’arrêt,
Stuart Staples, le chanteur à la voix pâteuse à souhait, vient de réaliser son premier essai en solitaire. Pour l’occasion, il s’est tout de même entouré de Ian Caple, producteur attitré du groupe, des ses fidèles complices David Boulter, Neil Fraser et Al Macaulay, du trompettiste Terry Edwards (déjà présents sur les premiers albums de Tindersticks), ainsi que de nouveaux acolytes, tels que les Français
Yann Tiersen et
Thomas Belhom. Ces diverses collaborations laissent déjà deviner la couleur de l’album, en quête une fois encore de la chanson pop rêvée.
Comme un contre-pied nécessaire, c’est un instrumental qui ouvre le disque.
Somerset house se délite en douceur, au rythme d’une boucle de piano et de chœurs féminins, pour se refermer sur un air de saxophone kitsch, qui donne une teinte très easy-listening au morceau. La voix de Staples n’apparaît donc que sur le second titre, une superbe ballade dépouillée,
Marseilles sunshine, piano et violon discret. Suivent
Say something now et
Friday night, les deux premiers titres extraits de l’album. Le premier est un air enlevé, guitare et batterie métronomique, constamment à la limite d’un dérapage entre cuivres et saturation, alors que le second est l’une de ces ballades aqueuses et hantées, dans lesquelles la voix de Staples fait merveille. Place ensuite au bluesy
Shame on you qui, une fois n’est pas coutume, abandonne les bonnes manières pour un son brut et plus direct. Un nouvel instrumental lui succède, pour une petite ritournelle décalée et légère. Après cet intermède, l’album redémarre avec
Dark days, chanson sur laquelle la voix de Stuart Staples semble s’évader de son carcan habituel. Sans tout à fait briser son phrasé si particulier, il module son organe de manière à créer un chant plus aéré, jusqu’à s’éteindre sans y paraître.
People fall down renoue ensuite avec les ambiances
Tindersticks, le rythme de la guitare acoustique rappelant le magnifique
Desperate man sur
Curtains. Le titre suivant,
She don’t have to be good to me, est peut-être le meilleur de l’album, le plus travaillé du moins. Là encore, on repère le savoir-faire propre aux
Tindersticks, à façonner l'écrin pop parfait. Enfin, l’album se clôt sur le beau
I’ve come a long way, morceau idéal pour conclure, avec ses nappes d’harmonium et de cuivres.
Au final, cette escapade solo de
Stuart Staples ne rompt pas vraiment avec les travaux des
Tindersticks. Pas de révolution ici, juste une économie de moyens étrange, par rapport aux arrangements luxuriants du groupe. Et c’est peut-être ce qui séduit dans cet album. Cette impression d’avoir affaire à des chansons dépouillées, comme dénudées, auxquelles la voix magique de
Stuart Staples insuffle le supplément de charme nécessaire. De plus, par l’orientation résolument kitsch de certains artifices (saxophone, chœurs et petites mélodies de piano), cet album dessine une carte postale d’une Angleterre fantasmée. Cette Angleterre grise de mélancolie, sous laquelle transparaissent portes colorées, vieilles maisons de briques ou cabines téléphoniques rouges. Comme le décor figé d’une boule à neige de l’enfance, ressortie du grenier, qui berce l’auditeur au rythme régulier de ses flocons.
Chroniqué par
Christophe
le 14/07/2005