On m’accusera sans doute de tomber la tête la première dans le mainstream. Pensez donc : une fille qui passe en radio, est invitée sur les plateaux des chaînes hertziennes et qui en plus vend des disques ! C’est osé, non ? Pourtant, malgré ces oripeaux du succès qu’elle traîne derrière elle depuis quelque temps,
Camille n’est pas la énième incarnation de cette pseudo-« nouvelle scène française » (terme sans doute inventé par les commerciaux d’une grande chaîne de magasins). Elle ne chante pas en regardant ses pieds, n’applique pas à la lettre les formules des glorieux aïeux, ne dévalise pas un certain répertoire folk pour devenir la nouvelle prêtresse du songwriting. Non,
Camille chante, avec le petit grain de folie et de prise de risques qui fait les beaux disques.
Ce
Fil qui donne son nom à l’album fait aussi bien référence à une ligne d’horizon imaginaire derrière laquelle court
Camille, qu’à ce « bourdon », cette note tenue tout au long du disque, autre ligne autour de laquelle se construit le discours, s’improvise – presque – le propos. Avec ce fil
Camille descend plus de la
Björk de
Medulla que d’une
Keren Ann ou d’une
Grande Sophie. Elle prend le pari d’un album à bouches, presque a-capella, juste soutenue par une contrebasse habile, un piano discret ou, parfois, une guitare à l’élastique. Mais là où l’elfe islandaise donnait naissance à une œuvre organique et cérébrale,
Camille crée un patchwork où se raccommodent les comptines d’enfants, la soul tribale et la pop ludique.
Le fil réunit tous ces ingrédients pour offrir un cocktail frais et fruité, idéal pour l'été.
L’ouverture de l’album annonce la couleur :
Camille a le rythme dans la gorge, le déhanchement un peu épileptique et n’hésite pas à se transformer en une human beatbox déglinguée (les drôles de bruits de bouche sur
Ta douleur). Et puis, quand on croit avoir saisi la recette, le disque amorce un premier virage. Aux oubliettes le swing coquin, bonjour les délices de l’enfance. L’hilarant
Janine I (qui sera suivi plus tard des numéros II et III) balance son cortège de vannes de cour d’école pour le plus grand plaisir de l’auditeur (« Pourquoi tu m’appelle Don Juan / Alors qu’ j’ai une p’tite quéquette ? »). Droit derrière, l’entêtant
Vous fais rimer tout et n’importe quoi, avec l’art de la référence l’air de pas y toucher (« Tout est boue sur la terre / Dit l’hippopotame en tutu / Au lit comme à la guerre / On est tous poilus »). Contre-pied à nouveau juste après, avec le jazzy
Baby Carni Bird, qui inaugure l’espace pop de l’album. De jolies ballades à la guitare à l’élastique, pour bercer le corps fatigué d’avoir dansé, la langue entortillée d’avoir chanté. Et au moment de s’endormir, hop ! un nouveau coup de
Janine, où
Camille bombe le torse et harangue (« Pourquoi tu m’appelles beauté / Comme si ça se voyait pas ? »). L’album continue ensuite, pétaradant avec son moteur à 3 temps (dansant, enfant, berçant), jusqu’à s’éteindre sans qu’il n’y paraisse, le « bourdon » qui raisonne longtemps encore dans les enceintes (près de 30 minutes tout de même).
Avec ce second opus,
Camille apporte le petit peu de fraîcheur et d’audace dont a bien besoin la déjà vieillotte « nouvelle scène française ». Un coup de vent taquin qui lui défait le chignon, lui déride le sourire et les manies. Ce n’est peut-être pas l’album du siècle, ni même celui de l’année, mais Camille donne un coup de pied dans la fourmilière des coups de cœur et des prix verts, chamboule le climat ennuyeux et gnangnan du moment et rejoint sur le front de glorieux aînés qui n’ont pas froid aux yeux (ni aux oreilles) comme
Dominique A ou
Katerine. Merci Janine ! Oh pardon, Thérèse.
Chroniqué par
Christophe
le 01/07/2005