Si un album original, en musique, et plus particulièrement en jazz, recèle inévitablement quelques imperfections, c’est que l’infaillibilité n’a jamais été de son domaine. L’important se situe ailleurs, dans le fait, par exemple, que les meilleurs morceaux rattrapent les moins bons ou les erreurs de parcours. 
Etranges manèges n’échappe pas à la règle, et en est même un exemple surprenant, miraculeux, presque. 
Ainsi, le duo formé par le pianiste 
Daniel Goyone et le vibraphoniste 
Thierry Bonneaux, renforcé quelquefois par les flûtes de 
Chris Hayward, s’égare parfois. Echouant ici dans le domaine de la production (
Titlù, au son de flûte propre et rose bonbon transformant un thème qui pourrait être signé 
Moondog en rengaine exotico-publicitaire), là dans l’interprétation (
La ronde, à l’introduction agréable tournant rapidement à la démonstration), ou simplement dans la composition (les doublons piano / vibraphone dont on abuse), il faut à 
Etranges manèges un soutien sérieux, et féroce, pour s’en sortir. Et il le trouve. 
Car 
Daniel Goyone se montre capable du contraire de ce qu’il prouve en mal, et le fait majestueusement. Capable de tourner le dos au clean pour servir le sauvage et les rêches (
Introduction à Doudaï dance, 
Boules et billes), de préférer à la candeur quelques délires velléitaires (
Riding on the Wind, rappelant le 
Blow up de 
Galliano et 
Portal), d’évoquer 
John Cage plutôt que 
Gershwin (
Chitchat), ou de servir des ritournelles évolutives complexes plutôt qu’une mélodie, simple mais par trop directe (
Cincando).
Mais ce qui fait enfin pencher la balance vers le salut irrévocable, sont les pièces de piano leader, voire solo, disséminées sur le disque. Berceuse suave au vibraphone discret (
Her Song), invocation brillante autant qu’originale du 
Satie des 
Préludes flasques (
Etranges manèges), ou chef d’œuvre / hommage (
For Morton Feldman), dont l’introduction cite 
For Bunita Marcus avant de laisser la place à une India song réécrite, aux dissonances choisies. Le secret est là : les erreurs corrigées par un talent réformateur et revanchard.
	
	
		Chroniqué par 
		Grisli		
		le 28/12/2004