Jamais il n'y aura eu autant débat pour ce cinquième album de
Tortoise, intitulé
It's All Around You. Certains sont déçus, peu surpris, d'autres le trouvent égal à l'esprit du groupe. L'écouter semble la meilleure solution. Chacun se fera ainsi sa propre opinion, et c'est d'ailleurs le diktat du collectif de Chicago qui part du principe que leur musique connait autant d’interprétations que possible. Mais en résumé, chapeau bas pour la première partie de l'album qui est somme toute bien réussie.
L'album attaque donc avec un premier morceau easy listening emprunt de mélodies positives et bucoliques, de riffs de guitare purement tortoisiens, de rythmes de batteries aériens. L'enchaînement de la deuxième track se fait tout en douceur. Ce qui peut dérouter, ce sont les vocals fémines chantonnant des "ooohhhh" et des "ahhhh" en introduction, rappelant un peu Jean-Michel Jarre ! Des sons électronica très minimalistes rattrapent ce petit apparté bien kitsch et la suite de la composition séduit tout naturellement grâce à une ligne musicale bien planante avec sa guitare, lancinante à souhait. Il s'agit certainement du morceau le plus post-rock de l'album. Ambiance légèrement funky pour
Crest avec une ligne de basse, cordes bien souples, et une guitare issue des 70's. La petite interlude qui s'ensuit,
Stretch, ne s'averait pas nécessaire puisqu'elle sample tout simplement la fin du précédent morceau. Si l'on devait dessiner en automatisme psychique cette première partie d'album, on ne pourrait pas faire mieux que la pochette de
It's All Around You : on voyage dans un jardin d'Eden surréaliste, presque dalinien, où tout est couleur, richesse et abondance, mais avec en arrière-plan quelques scènes obscures. La suite de l'album confirme cette hypothèse...
Avec
Unknown, on plonge dans un monde différent. Les bonnes recettes des quatre premiers morceaux sont réutilisées mais à la sauce "voyons voir en plus sombre". La sensation d'inquiétude ou de malaise que l'on peut éprouver est symbolisée par une guitare qui se tord, qui a mal au bide. Riffs alambiqués, pleurants, bruitages vaporeux et grésillants à l'horizon, tout est poison. Même si
Dot/Eyes bouge un peu plus grâce à une batterie plus énergique, l'ambiance reste pesante.
Tortoise nous ressort à cette occasion les sons industriels qui ont fait la singularité de leurs productions. La musique devient
in fine assourdissante par la prolifération d'instruments, de word spoken, de bruitages et de bêtes bizarres en tout genre.
Tortoise décide même radicalement de stopper net la musique, magique et radical comme un coup de Baigon vert. Avec
On the Chin, on se dit qu'enfin un rayon de soleil se dessine dans ce jardin en friche. Mais tout n'est illusion, la douceureuse composition musicale laisse un goût de fruit amer avec la guitare, qui fait la pluie et le beau temps sur tout l'album.
Tortoise, fidèles à eux-mêmes, en font leur pièce maîtresse.
Five Too Many nous propose de lever le rideau, de voir le jour vers des contrées exotiques, les touches du xylophone se faisant dansantes et abordant des allégories musicales parfois tribales. Il s'agit certainement du morceau le plus barré, le plus décousu, car chaque enchaînement de notes surprend, rendant impossible tout anticipation de nos pavillons auditifs.
Nostalgie des premiers morceaux, on retrouve avec
Salt the Skies des sons positifs, pour offrir en guise de conclusion un feu d'artifices d'instruments qui se déchainent. Déconcertant,
Tortoise évidemment. Vous comprendrez qu'on nage en plein manichéisme dans cette production avec ses nombreuses métaphores sur le bien et le mal. On connait l'engagement politique de
Tortoise, alors quel message nous délivre les alchimistes de Chicago ? Celui d'un rêve américain actuellement en proie à toutes les critiques ? A vous de juger...
Chroniqué par
Lilo
le 01/07/2004