Quiconque a eu le privilège de voir
Sage Francis sur scène se rend compte à quel point le personnage peut-être imprévisible, tant dans son attitude que dans le support utilisé pour ses prestations. Parfois thug solitaire accompagné de son unique minidisc, parfois bluesman enroué déversant ses couplets cyniques sur des instrumentations second degré, ce personnage atypique ne cesse de voyager entre l’univers bigarré de
Francis et les écrits confessionnels de
Sage. Pourtant, ce
Dead Poet Live Album parvient à naturellement concilier ces deux hémisphères, livrant ainsi un véritable condensé du talent et de l’immédiateté qui a consacré le rappeur par le passé.
Ou, devrais-je dire, le poète, le slammer capable de tenir une foule en haleine durant plus de trois minutes en acappella dès le deuxième titre, peu après un
Makeshift Patriot révélateur de la teneur organique de l'album. Exit donc les simples boucles, l’artiste s’offre pour l’occasion un véritable live band, intégrant guitare, basse, saxophone, clavier, percussions et notes de flûte dans la plus pure tradition hip-rock chère à
Anticon. En témoigne la construction exemplaire de
Specialist, où les accords saccadés de guitare accompagnent les césure de
Sage, en même temps que la douceur de la flûte fait ressortir ses longues complaintes semi-chantées. Pareil constat sur le désormais culte
Crack Pipes, lorsque l’instrumentation rapide annonce la fin des murmures d’un
Francis qui ne manque jamais une occasion de lâcher sa bride sur un beat plus marqué, rendant ainsi hommage à ses débuts dans la fumée des battles de la côte ouest.
Vous l’aurez donc deviné, le flow de
Sage Francis, tantôt rapide et assuré, tantôt plus vulnérable mais toujours impeccable retranscrit à merveille les émotions contenues dans ses textes. A fleur de peau sur
Inherited Scars, titre décrivant la détresse d’une sœur trop souvent ignorée, le mc se déchaîne sans retenue sur la batterie sèche et la guitare électrique de
What’s Your Name invitant son public à reprendre les gimmicks qui ont fait la renommée du hip-hop (« Say Bang, Say Boogie »), avant de terminer avec délicatesse sur les premières rimes de
Climb Trees et d’enchaîner en toute simplicité sur un freestyle haut en couleurs. L’émotion atteint toutefois son paroxysme en fin de parcours avec le magnifique
Broken Wings, où les vers et le beat-box de
Sage se confrontent à de longues lignes de saxophone sur une base piano/percussions subtilement entrecoupée de solos de basse. Une véritable perle, que le blues de clôture ne parvient pas à faire oublier une seule seconde, malgré les lyrics décousus et le chant décalé de l’artiste.
Durant plus d’une heure,
Sage Francis envoûte son auditoire sans rien se refuser, allant jusqu’à revisiter
Simon and Garfunkel sur le génial et touchant
Rewrite (50 Ways). Avec audace et sincérité, le rappeur fait ainsi de ce
Dead Poet Live Album le disque unplugged que personne n’osait attendre de sa part, alternant avec maîtrise classiques et inédits sur une superbe instrumentation allant du jazz au blues, en passant par le rock, mais sans jamais oublier de faire avancer le hip-hop. Un pur moment de plaisir, à écouter la nuit, avec toute l’attention que la poésie de
Sage Francis requiert pour être comprise et vécue à sa juste valeur.
Chroniqué par
David Lamon
le 04/06/2004