Après le virage expérimental abordé sur l’excellent
Pre-Millenium Tension, l’enfant terrible de Bristol revient en 1998 avec un album suscitant de nombreux espoirs et autant d’incertitudes. En effet, alors que la plupart de ses fans de la première heure attendent un retour vers le son plus mélodieux de
Maxinquaye, la pochette de ce troisième opus de Tricky, explicitement appelé
Angels With Dirty Faces, laisse présager une nouvelle plongée en apnée pour le Kid. Une fois le disque inséré dans la platine, le mystère s’éclaircit quelque peu en termes d’habile conciliation, tant
Tricky privilégie toujours ses fumeux délires introspectifs, mais parvient toutefois à proposer à son auditeur quelques titres nettement plus accessibles que par le passé.
Lancé en éclaireur, le single
Broken Homes, co-écrit avec
PJ Harvey, confirme cette impression. Beat épuré sur lequel les chuchotements de
Tricky flirtent délicatement avec la voix envoûtante de la diva anglaise, ce titre dégage un effet immédiat, malgré la noirceur de son refrain (« Those men will break your bones, don’t know how to build stable homes »). Il en va de même pour le spoken word de
Analyze Me, rehaussé par la voix de
Martina Topley-Bird et agrémenté de discrètes notes de clavier. Dans ces instants d’apparente légèreté, le trip-hop privilégié par le Kid à ses débuts semble refaire quelque peu surface, donnant ainsi au disque une touche de chaleur fort agréable. Mais de bien courte durée.
En effet, les autres titres de
Angels With Dirty Faces se singularisent par une complexité accrue. Construits autour de boucles entêtantes et rapides, ils prennent l’auditeur à la gorge sans la moindre concession. Ainsi, peu après le démarrage en trombe imposé par la batterie et les riffs de guitare du politique
Money Greedy et du non moins engagé
Singing The Blues, les superbes
Talk To Me (Angels With Dirty Faces) et
Records Companies amènent ce troisième album de
Tricky à un niveau d’étrangeté rarement atteint. Le premier morceau, construit autour d’une ligne de basse irrégulière sur laquelle se chevauchent des samples obscurs et en constante déstructuration, révèle les démons du chanteur, alors que le second, jouant sur une programmation de batterie/guitare électrique décalée, se pose comme un véritable brûlot envers l’industrie du disque (« Why the fuck do they keep making their guns, chew compassion save some sons »). Enfin, l’haletant
The Moment I Feared achève de porter le tempo de l’ensemble au-delà des limitations, dans cet état de non-retour propre à un
Tricky flirtant sans cesse avec la glissière de sécurité, et ce pour le plus grand plaisir de quiconque daigne le suivre dans ses délicieux écarts.
En définitive, malgré les quelques moments de répit que
Tricky laisse à son auditeur,
Angels With Dirty Faces reste un disque hautement torturé et nettement moins facile d’accès que
Maxinquaye. Il n’empêche que cette troisième livraison du Kid demeure une pièce maîtresse dans sa carrière, au point que certains fans avertis n’hésitent pas à la classer au sommet de la discographie de
Tricky. Un avis que je partage pleinement, par ailleurs.
Chroniqué par
David Lamon
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