Yo La Tengo

Avec ses seize albums et presque quarante ans de carrière au compteur, Yo La Tengo entre dans ce que l'on appellera le troisième âge des rockeurs. On aurait pourtant bien tort de supposer que le cultissime trio d'Hoboken se soit assagi. Et quand bien même ce serait le cas, comment pourrait-on leur en tenir rigueur ? Vous en connaissez beaucoup des groupes au line-up constant (du moins depuis 1992 et l'arrivée du bassiste James McNew sur l'excellent May I Sing With Me) d'un tel calibre et d'une telle longévité dans le sans-faute ? Certes leurs dernières œuvres se détournaient du rock velvetien, tantôt fiévreux tantôt planant, de leurs meilleurs albums des 90's – c'est-à-dire tous – et visaient une forme de pop-rock-folk légèrement en deçà de leurs deux derniers grands albums, à savoir le solaire et bien-nommé Summer Sun (2003) puis le gargantuesque I Am Not Afraid Of You And I Will Beat Your Ass (2006). L'inspiration ne les a toutefois jamais quitté, tant au niveau du songwriting (Fade en 2013, avec toujours ce soin particulier apporté aux arrangements) que du travail minutieux accompli sur le climat sonore (les errances nocturnes de There's A Riot Going On en 2018). Yo La Tengo nous revient cette année avec This Stupid World et autant dire que celui-ci sent plus le souffre que la naphtaline.

Nul besoin de courir après sa jeunesse lorsque l'on est encore jeune dans sa tête. Jeune pour ne pas dire "sale gosse" comme semble nous avertir le gribouillage sur la pochette et le morceau osé qui ouvre ce nouvel album dans l'irrévérence. Avec la longue et électrique Sinatra Drive Breakdown, les présentations sont ainsi faites et n'y vont pas par quatre chemins : This Stupid World sera un disque brut de décoffrage (Brain Breakdown, Fallout ci-dessous) guidé par le plaisir simple et collectif du live façon Yo La Tengo, soit d'une part jouer de belles mélodies (toute la partie centrale de l'album) et d'autre part saboter ces dernières en faisant du bruit (Tonight's Episode). Cet écart bruitisme/mélodisme a toujours été la grande affaire de Yo La Tengo et ce This Stupid World en est un nouveau témoignage percutant n'ayant rien à envier à un classique comme Painful dont il paraît être, trente ans plus tard, le lointain cousin. Le double climax final permet également de mesurer à quel point Yo La Tengo vole encore au-dessus de la mêlée lorsqu'il s'agit de créer un environnement sonique radicalement noisy (l'abrasive This Stupid World, sorte de Ohm revenue des flammes de l'enfer) ou magnifiquement éthéré (Miles Away aux confins de la dream-pop).

This Stupid World n'est pas vraiment un retour en grâce puisqu'il n'y a jamais eu d'albums disgracieux de leur part, ce n'est pas non plus un retour au source puisque l'identité musicale du groupe a souvent été sinueuse et fluctuante, mais c'est à coup sûr un retour en grande forme qui ravira les fans de la première heure. Soit l'éclatante réussite d'un groupe à l'éternelle jeunesse qui vient certainement de nous offrir là son meilleur album depuis longtemps.