Le cru 2010 de musique ne m'a pas particulièrement marqué. Au crépuscule de l'année, alors que pleuvent en trombes les usuelles rétrospectives, mon bilan manque de saveur. Non pas qu'il n'y ait pas eu quelques bons albums à saluer, mais rien qui ait pu me décrocher la mâchoire d'admiration. Et puis c'est toujours lorsqu'on s'y attend le moins que sort l'album qu'on espérait.
A l'origine de
Deaf Center, deux amis d'enfance : Erik Skodvin et Otto Totland. Ils collaborant dans l'idée de proposer un ambient instrumental nourri par les lignes de piano et la guitare. Il ne leur faut guère longtemps pour introduire dans certains de leurs titres un orchestre de cordes, déportant alors leur musique sur les terres du modern classical. Les deux Norvégiens se lancent parallèlement dans divers projets : Otto Totland dans une collaboration à distance baptisée
Nest, tandis Erik Skodvin choisit le nom de
Svarte Greiner pour signer un drone ténébreux.
Erik Skodvin et Otto Totland ne se sont jamais perdus de vue, et si la production du binôme reste sporadique, la flamme brûle toujours entre les deux compères. Cinq ans après leur deuxième album,
Owl Splinters se présente sous un jour prometteur. Skodvin et Totland ont en effet depuis avancé dans des directions diamétralement opposées. Et nul doute que les retrouvailles ont dû être riches en idées fraîches.
Ce n'est pourtant pas de leurs projets respectifs que vient l'influence nouvelle qui souffle sur
Deaf Center. Mais de
Ben Frost.
Close Forever Watching est peut-être la pièce la plus probante. Comment ne pas penser au travail de l'Islandais lorsque les deux Norvégiens concluent une montée "dronesque" par une sentencieuse note de piano ? Un effet typique de
Frost. Il faut dire que
Deaf Center avait déjà toutes les cartes en main : le piano, les cordes frottées, ne manquait plus que le drone à ajouter à l'arc. Peut-être les
Versailles Sessions ont-elles aussi marqué le duo dans une moindre mesure, car
Animal Sacrifice semble tout droit sorti de l'expérimentation baroque de
Murcof.
Le mélange entre modern classical et drone est, je pense, la meilleure chose qui soit arrivée à la musique depuis ces deux dernières années. Je l'avais déjà souligné à propos de
Ben Frost. Il ne s'agit pas seulement d'une nouvelle forme esthétique. Des albums comme
By The Throat ou
Owl Splinters apportent à la musique une dimension supplémentaire. Simplement, la dynamique des compositions avait rarement atteint une telle ampleur : du timide chant des cordes aux drones colossaux. Le jeu remarquable de piano côtoie les larsens sauvages de guitare. Les caresses délicates annoncent au loin des ouragans de son.
Qu'il nous plonge dans d'abyssales ténèbres ou qu'il nous porte dans ses élans angéliques,
Deaf Center atteint l'excellence. Et si l'on veut se prendre au jeu quelque peu superficiel – mais pas moins récréatif – du saucissonnage de musique par année, la portion qu'offre le duo part grande favorite.
Chroniqué par
Tehanor
le 17/02/2011