Chali 2na

Culture récente oblige, les vétérans du rap, quand ils n’ont pas été amochés par les excès de l’existence, sont aujourd’hui des quadras dans la pleine force de l’âge, avec cette envie encore toute dévorante d’être et de faire, pour ne pas mourir. Du coup : retour en masse des ancêtres de la discipline, avec des projets solos pour ceux dont le blaze paye suffisamment, à l’image du come-back (pas même attendu) de Rakim. Ou en s’associant à d’autres activistes du milieu (D.J.’s, M.C.’s, beatmakeurs…) encore dans le vent, eux. L’actualité foisonne de ces exemples : le projet Blackroc pour ne citer que lui.
La retraite, ça n’est donc pas pour tout de suite ; nos vieux de la vieille n’ont pas dit leur dernière rime : papy fait de la résistance.

Charlie Stewart, alias Chali 2na, est de ceux-la ; membre influent des Jurassic 5, le crew mythique dont la carrière s’embrasa dès 1993 pour s’éteindre, 13 ans plus tard, avec la sortie de Feedback. Extinction du groupe donc, d’un commun accord, pour laisser s’émanciper les créativités de chacun – hormis de Cut Chemist, qui déjà quelques années auparavant leur avait fait faux-bond. Avec cet album, Fish Outta Water, Chali 2na ose le courage qui lui avait manqué avec – et depuis – Fish Market, qui n’était rien qu’un simulacre de projet solo frappé du sceau du poisson, en réalité une compilation tout ce qu’il y a de plus orthodoxe. Ce désir enfoui d’ « y aller seul », le voici enfin porté à la lumière, affranchi de ces hésitations qui vous confinent dans les mauvais choix, pire, l’inactivité. De cette époque révolue, notre animal n’est cependant pas revenu de son étrange trip aquatique qu’il a dorénavant érigé en véritable marque de fabrique. Plongeons dans le délire de celui qui se prend pour un poisson-mutant – frais, on l’espère – allez, tous à la flotte !

On ne nage pas en eaux troubles, l’ex Jurassic 5 n’a pas délié ses chères attaches avec le passé ; de l’ensemble du disque se dégage le relent prééminent d’un style old-school, pas franchement nauséabond, mais simplement dépourvu d’originalité. Les musiques sont dansantes, pétries d’énergie, contrastant en permanence avec le phrasé placide du rappeur et son timbre de voix si particulier. Les emprunts au funk, à la soul, au reggae (sur Guns Up, en featuring avec les frères Marley) sont légion et renforcent chez l’auditoire ce sentiment devenu persistant d’une musicalité d’un autre âge. Parfois, un peu comme si pépé avait délaissé le déambulateur pour s’essayer au skate-board, quelques titres sonnent franchement « ghetto », et plus encore « mauvais goût » : So Crazy, Lock Shit Down, avec Talib Kweli pourtant…

Fish Outta Watter… Pour un titre qui présageait tant l’album du risque (c’est une interprétation comme une autre), on aurait aspiré à être un peu plus surpris. Au lieu de ça, le frétillant Chali 2na est comme un poisson dans l’eau d’un disque qui ne fera certainement pas de vagues.
Astuce de circonstance : épinglez à votre hameçon un appât tout de désenchantement vêtu et vous aurez probablement une chance d’y pêcher quelque chose. Finalement, Chali 2na ne changera pas sa recette ancestrale cette fois, mais comme on dit : « la sauce fait passer le poisson ».